Drôles de Chevaliers de la Table Ronde à l’Opéra Grand Avignon
Le public avignonnais savoure visiblement avec d'autant plus de plaisir l'humour et le réconfort ainsi offerts en cette fin d'année toujours compliquée et menacée par les restrictions sanitaires. Cette production maison prolonge l'esprit de cette œuvre, détournant et parodiant la légende arthurienne, dans un esprit et avec une galerie de personnages rappelant la série Kaamelott.
L'adaptation et la mise en scène signée par le baryton Jean-François Vinciguerra assisté d’Estelle Danvers (également chargée de la chorégraphie) a pour maître mot l'humour. La dynamique est fluide et légère comme l'intrigue, mélangeant complots cocasses, jeux de mots comiques, danse endiablée et autres actions farfelues. L’aménagement du royal plateau est assuré et régulièrement changé par les artistes eux-mêmes. Les costumes se démarquent par un visuel divertissant et adapté à chaque rôle, jusque dans les appréciables détails avec de nombreuses références (un exemple parmi tous les autres : Roland ici précieux et raffiné, resplendit autant par son armure, son humour, sa chevelure blonde soignée que son sourire étincelant). Les lumières travaillées de Geneviève Soubirou dessinent chaque scène, créant une ambiance chatoyante et festive. Toutefois, la projection vidéo connaît des soucis techniques avec des images hachées et un son très irrégulier.
La partition est exécutée avec justesse et entrain, suivant la battue démonstrative et large du chef d’orchestre Christophe Talmont. L’Orchestre National Avignon-Provence déploie ainsi les rythmes et couleurs de l'opérette tout en soutenant les prestations des chanteurs. La fosse tient de surcroît un rôle d'exception car le spectacle est annoncé comme "la première fois depuis sa création que cet ouvrage [est] donné avec un grand orchestre." Cette dimension musicale est ainsi d'autant plus grandiose, attrayante et immersive, dans l'œuvre et cet univers.
Au cœur de l’intrigue, Jean-François Vinciguerra endosse le rôle de Merlin II par un jeu scénique convaincu et énergique. De sa voix particulièrement présente et ronde, il exclame son texte avec une grande clarté. Le Duc Rodomont est joué par le ténor Jacques Lemaire qui présente l'aisance scénique d'un jeu simple et efficace. Cependant, le timbre léger et pincé s’avère trop discret et laisse l’orchestre couvrir sa voix. A ses côtés, la Duchesse Totoche interprétée par la mezzo-soprano Sarah Laulan, demeure imperturbable. Se démarquant par un jeu complet et complètement captivant, elle plonge dans l’intrigue jusqu’au moindre geste. D'autant que son chant fait entendre des échos onctueux et charmants, modulés à volonté et sans failles. Leur fille, la douce et naïve Princesse Angélique, jouée ici par la soprano Jenny Daviet dégage sa personnalité à travers un jeu sournois et coquet ainsi qu’une voix perçante aux aigus très agiles et longs. Campant le rôle de la méchante Mélusine, la soprano Laurène Paternò est malicieuse et audacieuse. De sa voix fine mais très assurée, ses lignes se dévoilent éclatantes.
Chez les prétendants de la Princesse Angélique, Roland est donc étincelant et même brillant avec le ténor Mark van Arsdale, caricature assumée du preux chevalier, au jeu fol et charmant. Sa ligne vocale pure est ornée d'un léger vibrato, le discours harmonieux contrôle l'ambitus. Dans le rôle de Médor, le ténor Blaise Rantoanina conduit une théâtralité énergique et tendre à la fois. Cependant, sa voix légère s'appuie sur des phrases manquant de soutien et demeurant encore assez maigres dans leurs extensions. Complice du Duc Rodomont, le sérieux Adolphe Sacripant, interprété par le baryton-basse Richard Lahady a la matière résonnante et colorée.
Malgré leurs interventions trop rares en solistes, les autres chevaliers obtiennent la reconnaissance du public à travers leurs implications dans des scènes attrayantes et vivantes. Le jeune baryton Timothée Varon prouve en Lancelot du Lac un bon potentiel à travers un dynamisme continu et agréable ainsi qu’une voix profonde et sonore qui le distingue notamment dans les ensembles. La basse Joé Bertili s’implique dans son rôle d’Ogier le Danois par une énergie physique et vocale engagée. Le ténor Maxence Billiemaz s’adonne à un Amadis des Gaules courtois et autonome par une voix polie et éloquente. Le ténor Yvan Rebeyrol se plonge avec entrain et humour dans le rôle de Renaud de Montauban. Enfin, la tendre Fleur de Neige est jouée par la danseuse Estelle Danvers dont les passages récurrents complètent gracieusement les tableaux.
La soirée chaleureuse et chaleureusement accueillie se conclut par deux reprises de la chorégraphie endiablée, et une explosion de confettis au sein de la salle.