Le Voyage dans la Lune atterrit enfin, à Marseille
Que le chemin aura été long. À l’instar de ses protagonistes à destination de notre satellite, cette production du Voyage dans la Lune aura rencontré bien des obstacles. À l’initiative du CFPL (Centre Français de Promotion Lyrique, désormais Génération Opéra), en coproduction par 16 maisons d’opéra francophones et le Palazzetto Bru Zane, le spectacle devait être dévoilé à l’Opéra de Montpellier il y a un an (nous avions couvert les répétitions). Las, le Covid étant passé par là, les représentations furent annulées à la dernière minute et l’honneur de la première en public revient à l’Opéra de Marseille pour les fêtes de fin de cette année. Très bientôt, la production et son équipe de jeunes artistes reprendront leur périple pour une tournée de trois ans et des représentations sont programmées cette saison à Nice, Limoges, Vichy, Clermont-Ferrand et Compiègne (un livre-enregistrement est également prévu).
Malgré son nom, l’opéra féerie très rarement monté de Jacques Offenbach ne raconte pas la même histoire que le film éponyme de Georges Méliès, ni celle des romans de Jules Verne (même si la similarité du livret avec De la Terre à la Lune et Voyage au centre de la Terre, très à la mode à l’époque de la création, avaient froissé non sans raisons l’auteur nantais). Mais des correspondances sont attendues par l’auditeur de notre époque et la mise en scène d’Olivier Fredj en tient bien sûr compte, à commencer par cette Lune aux traits d’Offenbach rappelant l’affiche du film de Méliès qui fait figure de mascotte de la production.
L’opéra entier est également présenté comme un tournage, avec des techniciens et preneurs de son traversant de temps à autre le plateau. La mise en abyme semble parfois un peu accessoire, mais permet de belles idées de mise en espace, comme ce premier acte vu au travers de l’obturateur d’une caméra. Comme souvent, les dialogues du livret sont coupés ou réadaptés pour mieux coller à l’époque : les allusions un peu poussées au conseil scientifique et aux épidémies restent toutefois un brin trop attendues.
Les décors et costumes de Malika Chauveau revêtent des teintes principalement grises et métalliques rappelant autant la surface lunaire que le cinéma noir et blanc. Des décors que viennent égayer les lumières chaudes et les projections féeriques en arrière-plan de Nathalie Perrier. L’esthétique vernienne des tableaux du premier acte (l’observatoire, la salle du canon) répond aux couleurs presque psychédéliques des actes sur la Lune figurant l’apparition de l’Amour. Les costumes des « femmes-accessoires » font preuve d’une inventivité décalée, comme cette lampe qui orne la tête de Flamma ou le costume d’éponge de Popotte. L’équipe de création a pris soin de conserver les intermèdes de ballet effectués par la troupe de danseurs acrobates de Anouk Viale, contraints de danser masqués au déplaisir de certains spectateurs.
La direction musicale du projet est assurée par Pierre Dumoussaud, à la tête de l’Orchestre de l’Opéra de Marseille. Malgré un enthousiasme manifeste, l’ensemble manque un peu d’unité et d’entrain, ce qui pose problème sur ce genre de répertoire. Le Chœur de l’Opéra, masqué, peine à se faire entendre au premier acte mais progresse jusqu’au clair de terre final où il propose une belle unité sonore.
Le livret du Voyage dans la Lune, un peu décousu et dans la plus pure tradition de l’opérette, laisse une grande part aux dialogues parlés et, à l’exception des trois rôles principaux, les interprètes doivent plus briller par leurs talents d’acteur que par leurs qualités lyriques. Le Microscope d’Eric Vignau et son acolyte lunaire Christophe Poncet de Solages (Cactus) sont à peine entendus, mais leur engagement scénique est réjouissant. Alors que leurs imposants et distrayants couvre-chefs n’aident visiblement pas à projeter leurs voix de ténor, le premier dresse une ligne droite voire stricte (liée au rôle), le second en impose avec une certaine veulerie. Coincé dans un costume drôle mais encombrant, le Cosmos d’Erick Freulon peine lui aussi à projeter lors de ses rares interventions solistes, manquant de l’épaisseur de ses oripeaux.
Le rôle du roi V’lan, initialement prévu pour Matthieu Lécroart, est repris à la dernière minute par Christophe Lacassagne. Le baryton, grand connaisseur du répertoire d’Offenbach, incarne le Roi de la Terre d’un timbre léger adapté à l’opérette, lui prêtant son timing comique et sa bonhommie joviale. La Popotte de Cécile Galois avec énergie et entrain dans la présence vocale et la Flamma de Ludivine Gombert avec l’impertinence d’un bon timing comique et d’un rythme musical, brillent par leur assise scénique et entraînent le chœur des femmes sélénites à leur suite. Le temps d’un air, le ténor Kaëlig Boché prête son timbre clair et ses aigus ciselés au Prince Quipasseparlà.
En Fantasia, princesse lunaire, Sheva Tehoval déborde d’énergie et d’aimable légèreté. Tantôt séduisante, tantôt métallique, la soprano joue des couleurs de son timbre pour provoquer le rire et appuyer l’intrigue, mais prête sans réserve toute l’étendue de ses capacités vocales à des aigus aussi nonchalants qu’assurés.
Dans le rôle central travesti de Caprice, la mezzo-soprano Violette Polchi dompte avec aplomb la volumineuse partition qui lui échoit. Si sa voix légère peine parfois à passer une fosse capricieuse, en particulier dans le registre grave, les aigus ne manquent pas d’assurance et la complicité avec Sheva Tehoval est manifeste notamment sur le sautillant duo de la pomme « en apesanteur ». Le vibrato est bien dosé et la ligne de chant épouse l’évolution du caractère du personnage, du fils à papa larmoyant à l’amoureux transi.
Le public applaudit les solistes, et plus particulièrement l'équipe de chorégraphes et de mise en scène, leur souhaitant un "bon bout d'an" et beau voyage.