Le Carnav(oc)al des animaux à l'Opéra de Rennes
L’Opéra de Rennes est transformé pour l’occasion en un Palais des Congrès de la Mangrove dorée, accueillant la 1ère Très Grande Conférence au Sommet des Espèces Animales Réunies. Les homo sapiens de tout âge prennent place dans la salle, traités comme des coqs en patte, sans savoir qu’ils vont assister à leur propre tribunal. L’excitation est palpable lorsque Armel, prince des ours incarné par Emmanuel Suarez arrive sur scène pour présenter les protagonistes de cette conférence : les soufflettoïdés, l’homovioloncellicus, le percussionicus baguettissimus sous la direction de l’homo orchestrus dominus au superbe pelage noir et blanc. Pour terminer, les invités d’honneur appelés« chanteurs », les homo cantodorus et les femina Castafiora, capables de prendre la forme vocale de toutes les espèces confondues : lions, éléphants, ânes, coucous, poissons, tortues, kangourous, poules et coqs, et même dinosaures.
Le comédien Emmanuel Suarez, maître de cérémonie est comme un poisson dans l’eau. Il rythme les séquences, adapte le texte à la situation, au lieu, truffe son texte d’anecdotes rendant le propos vivant, rebondit pour relancer un sujet à réflexion ou surprend son auditoire quand, passant du coq à l’âne, il propose à chacun de tomber amoureux de son voisin ! Également auteur du texte et des paroles des chansons, il revisite cette plaisanterie musicale un peu à la façon d’une fable de La Fontaine. Il donne aux animaux la capacité de s’exprimer et, sans chercher la petite bête, aborde des sujets graves avec légèreté. À tour de rôle, ces drôles d’animaux portent un constat sur la vie de l’espèce humaine (dont le lion veut faire du boudin) l'incitant à davantage de lenteur pour savourer la vie longtemps, apprendre à vivre ensemble, sauter par dessus nos soucis pour être plus heureux, nous aimer en somme. Il aborde aussi la crise écologique comme dans Aquarium où les poissons sont en danger suite à une pêche intensive. « Tremblez humains microscopiques » menacent les dinosaures car bientôt disparaîtra notre belle planète si nous ne la préservons pas. La morale de cette histoire est apportée par le lion devenu philosophe et anthropologue : soyons unis et en résonance pour survivre, soyons musique ! Cette joyeuse troupe réside d'ailleurs en cette Bretagne, des évocations parsemant le discours et la partition : crêperie, goélettes, algues, falaise, forêts de Brocéliande et de Sherwood.
Sans avoir touché à la partition originale, Gildas Pungier a écrit la partie des chœurs, soit en doublant la mélodie avec les voix, soit en développant l’harmonie. Une fois ce travail effectué, le parolier pose ses mots sur cette musique réécrite pour être chantée. Les 12 chanteurs de Mélisme(s) font preuve d’une grande maîtrise du souffle et de la respiration pour obtenir un équilibre vocal impeccable. Les voix sont homogènes, expressives, variées : elles décrivent aussi bien la « coqophonie » du chœur des Poules et Coq qui lavent leurs plumes sales en public, les bondissants kangourous, la course effrénée des hémiones éprises de liberté, que le délicat discours du cygne, dans une précision sans faille insufflée par leur chef. Les nuances sont soignées jusqu’à la fin des phrases tout comme l’articulation permettant une bonne compréhension du texte. Une grande complicité règne et certains n’hésitent pas à prêter leur voix pour donner la réplique au récitant. L’interprétation des 11 instrumentistes de l’Orchestre National de Bretagne, tour à tour vivifiante, aérienne ou espiègle complète avec harmonie la texture sonore.
C’est aussi une musique visuelle, un concert dessiné. L’illustrateur Grégoire Pont, installé sur scène aux côtés des musiciens, dessine en direct. La feuille et la main du dessinateur sont filmées et retransmises sur la toile en fond de scène. Son éléphant glisse sur la glace au son de la contrebasse, des coucous apparaissent furtivement dans les arbres, les oiseaux frémissent, les poissons filent dans l’eau : il agit sur la musique comme un danseur, son trait guidé par les rythmes de la musique. Son dessin est vivant, élégant, poétique, humoristique (avec notamment des pianistes loufoques provoquant l’hilarité du public).
Dans cette production, le travail est ainsi collectif avec un engagement de tous où personne ne cherche à se tailler la part du lion, pour un concert des yeux et des oreilles teinté d’un message fraternel. Un moment de bonheur, un remède efficace pour combattre la morosité ambiante : carnaval obligé pour tous sinon « boudin » !
C’est un public conquis qui applaudit chaleureusement les artistes et ce spectacle ayant captivé les plus jeunes (et les autres).