Nessun Dorma de Pene Pati : des histoires partagées
On ne change pas une équipe qui gagne : c’est ainsi que la relation entre le ténor samoan, l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine et Emmanuel Villaume se poursuit. Ils étaient déjà ensemble pour le premier album de Pene Pati (éponyme) et avaient donné un concert la saison passée à l’Auditorium de Bordeaux. C’est d’ailleurs la maison bordelaise, sous Marc Minkowski, qui a largement contribué à révéler ce ténor au succès désormais international. Quelques éléments supplémentaires se rajoutent cette fois-ci. Il s’agit du Chœur de l’Opéra National de Bordeaux qui apparait sur "Nessun Dorma" de Puccini (Turandot) et sur "Dove siam?… La patria tradita" de Verdi (Macbeth). La soprano Amina Edris, épouse de Pene Pati et Amitai Pati, frère de Pene Pati et également ténor sont invités à l’occasion de quelques duos et du trio final.
Le disque se présente dans une couverture cartonnée à l’effigie du chanteur. Il est accompagné d’un fascicule en trois langues avec une note d’intention signée par Pene Pati, une présentation détaillée des morceaux du programme ainsi que les textes de chacun.
Le généreux programme, s’étendant sur dix-huit pistes pour plus d'une heure vingt de musique, balaye le répertoire romantique français et italien avec une pointe de vérisme (mouvement italien débutant à la fin du XIXe siècle visant à développer musicalement les émotions de personnages souvent vulnérables sur fond social). Y figurent des tubes incontournables tels que le titre éponyme mais aussi "Ah ! fuyez douce image" issu de Manon (Massenet), "Pourquoi me réveiller" du Werther du même compositeur ou encore l’air de Rodolfo "Che gelida manina" extrait de La Bohème (Puccini) mais aussi des morceaux plus rares tels que l’air "Seul sur la terre" de Dom Sébastien (Donizetti), le duo "Non sai tu che non avrai" d’Il Bravo (Mercadante) et le trio "Tu possèdes, dit-on" emprunté à La Juive (Halévy). Deux nouveautés, enregistrées pour la première fois sont même présentées. Il s’agit de "Et toi, malheureux Faust … c’est l’enfer qui t’envoie", cabalette du Faust de Gounod qui fut coupée pendant les répétitions précédant la première et "Nous partirons ce soir !" duo extrait de Frédégonde, opéra d’Ernest Guiraud terminé posthume par Camille Saint-Saëns et Paul Dukas.
Amina Edris déploie l’adresse de sa voix dans les vocalises d’Eudoxie (La Juive). La diction est par contre moins maîtrisée, ce qui s’entend en particulier dans Frédégonde où le vibrato manque par ailleurs de subtilité et tend à encombrer les lignes de chant qui apparaissent moins lisibles.
Amitai Pati présente un timbre élégant et poli complémentaire de celui de son frère dans les duos. Pene Pati se meut avec agilité entre les différents répertoires, de la précision virtuose dans les passages techniques de Dom Sébastien aux poussés sentimentales de Rodolfo en passant par la sensibilité transparaissant des aigus flutés de Des Grieux. La qualité de la diction permet un rendu impeccable de la langue française. Le phrasé veille à coller au sens de chaque phrase. Les lignes vocales sont ainsi stables et ne s’infléchissent que pour marquer l’émotion du personnage. L’orchestre s’inscrit dans cette veine et crée les ambiances propices au développement dramatique de chaque extrait. Il appuie par sa vigueur l’intensité de certains passages comme lors du début et de la fin de la cabalette de Faust par la rigueur des ostinatos de cordes et la puissance des bois et des cuivres qui sonnent comme quelques relents infernaux (tout comme il souligne la mélancolie de Werther, véritable point d’orgue de l’album, par la gravité des motifs de violoncelles sur lesquels se greffent les notes de harpes).
Emmanuel Villaume ne lésine pas sur les effets mais toujours avec pertinence. L’orchestre prend ainsi sa juste place comme dans l’entrain du Dove siam par exemple. Pene Pati et l’orchestre demeurent dans une constante unité au service du sens de chaque morceau qui sont ainsi audibles chacun comme un véritable mini drame.
Le ténor indique dans sa note d’intension que les airs choisis « racontent une histoire que j’avais envie de partager avec vous ». Partage assuré.