Cette fois, Monsieur Choufleuri n’est pas resté chez lui : Champagne à Reims
Victime des contraintes sanitaires, Monsieur Choufleuri avait vraiment dû rester chez lui l’an dernier (lire notre Requiem pour cette production annulée). Cette fois, l’Opéra de Reims aura pu déconfiner cette production de Yann Molénat, malgré l’inquiétude grandissante liée à la situation sanitaire (touchant notamment les Opéras en Autriche et Belgique). Dans un esprit proche de celui de la Veuve joyeuse présentée le même soir à Nice (lire notre compte-rendu et l’interview de Bertrand Rossi dans laquelle il présente ces intentions), le metteur en scène choisit de moderniser cette opérette, en gardant l’esprit d’Offenbach tout en moquant la société d’aujourd’hui. Exemple parmi d’autres, les noms des chanteurs convoqués par Monsieur Choufleuri ne correspondent pas à des artistes du XIXème siècle : sont ici engagés Messieurs Dessay et Petibon, ainsi que Madame Pavarotta. Le public rit de bon cœur, preuve de la pertinence des choix opérés. L’œuvre d’origine étant courte, un personnage (celui de la Femme de Monsieur Choufleuri) et de grands airs du répertoire sont ajoutés : si les paroles d’origine sont respectées (choix qui interroge), la parodie se fait alors dans l’orchestration qui organise des grincements ironiques.
Pauline Texier, dont la voix fine et acidulée ainsi que le caractère piquant se prête décidemment bien à ce répertoire, interprète une Ernestine candide mais déterminée. Son vibrato est vif et léger et ses aigus sont très ciselés, pépiements qui s’envolent dans d’agiles vocalises. Enguerrand de Hys prend un plaisir manifeste à croquer le musicien raté (ici rocker hippy) et amant d’Ernestine, Babylas, que ce soit dans les parties parlées (avec sa voix morne d’accro au cannabis) ou chantées (dans lesquelles ses déhanchés font fureur). Sa voix au grain chaud est bien couverte, ce qui nuit toutefois à sa projection. Il se montre toutefois solide au moment d’interpréter "Una furtiva lagrima", avec de belles nuances, ou lorsqu’il lui faut vocaliser.
Aurélien Gasse est un comédien accompli, tenant le rôle-titre avec drôlerie et énergie, s’amusant de sa passion inculte pour l’opéra (art ringard selon sa fille) et l’art contemporain (il expose notamment un pneu qui ne manque pas de rappeler l’installation exposée au Palais Garnier voici quelques mois). Sa voix de baryton reste cependant placée très haut : bien qu’en place rythmiquement, son absence de basses et sa projection limitée privent les ensembles du socle pourtant si caractéristique du style verdien ici parodié avec génie par Offenbach.
Valentine Martinez tient le rôle de Peterman, appelé Petergirl pour l’occasion. Sa voix satinée aux aigus forgés d’un métal rougi et au fin vibrato est projetée avec dynamisme. Brisant régulièrement le quatrième mur (notamment pour lancer à plusieurs reprise « ça vous amuse ? » lorsqu’il lui arrive des mésaventures, référence au "Et vous trouvez ça drôle ?" de Coluche), elle tire du public sa part des éclats de rire. Marie Bénédicte Souquet interprète le personnage ajouté de Madame Choufleuri, pour un "Sempre libera" extrait de La Traviata. Elle met sa voix tranchante au service de la folie douce de son personnage et de vocalises bien exécutées.
Yann Molénat, qui fait pétiller le texte (qui n'est hélas pas mis en valeur par l'absence de surtitres) par son adaptation et sa mise en scène, fait également couler le champagne en tant que chef, à la tête de l’Ensemble orchestral de l’Opéra de Reims composé de 13 musiciens et qu’il dirige, le sourire aux lèvres, accompagnant les interprètes de son chant muet. Les codes du bel canto italien sont maîtrisés et permettent de parodier avec succès les Bellini, Donizetti, Verdi ou Rossini. Hélas, le cancan final (importé de l’Orphée aux enfers du même compositeur) laisse les bulles retomber du fait d’un tempo très modéré et d’une mise en exergue des instruments graves (en particulier le cimbasso) qui alourdissent la musique. L’Ensemble lyrique Champagne Ardenne manque certes d’homogénéité dans la qualité de ses timbres, mais il s’investit pleinement dans son rôle théâtral et se montre bien en place rythmiquement. Annick Petit-Manzullino règle les chorégraphies au classicisme ironique, ainsi que le French cancan final.
Le public s'en retourne joyeux, après avoir salué chaleureusement l'ensemble des artistes impliqués dans la production.