Tradition et modernité en concert spatialisé en l’église Saint-Eustache
Assis en face à face, les spectateurs prennent place au milieu de l’église Saint-Eustache, dans laquelle s’est réfugiée Musique Sacrée à Notre-Dame le temps des travaux de la Cathédrale. Introduit par la Fantaisie et fugue BWV 537 de Bach par l’organiste titulaire de Notre-Dame, Yves Castagnet, avec malheureusement une conduite des phrasés difficilement compréhensibles et un tempo tout aussi flottant, le choral Erbarm dich mein, o Herre Gott (Prends pitié, ô mon Dieu) souffre également d’une pesanteur parfois presque oppressante.
Néanmoins, les chanteurs du Jeune Ensemble et du Chœur d’adultes ne perdent pas leurs repères. Disposés au milieu de la nef les uns derrière les autres, en une seule ligne, ils sont ainsi au plus proche des auditeurs et aussi isolés de leurs collègues de pupitre (ce qui représente un défi d'écoute). Sous la direction très ample et souple d'Henri Chalet, leur attention est extrême, leur assurance l’est tout autant, offrant ainsi, malgré quelques mini-décalages individuels, une expérience d’immersion très efficiente et même fort prenante pour Adoramus te de Claudio Monteverdi. Les artistes de chœur manifestent une rigoureuse préparation notamment par les nuances qu’ils proposent, communes et marquées. La polyphonie riche et complexe emplit l’édifice, rendant cette immersion au cœur du chœur particulièrement saisissante.
Se plaçant ensuite autour du public en petits groupes selon leur pupitre, les chanteurs sont rejoints par les percussions, le trombone et l’orgue d’un côté (côté tribune), les cordes et la trompette de l’autre (côté chœur). Cantate de la Nativité créée en 2005 en l’église de la Trinité, Et Verbum Caro de Fabrice Gregorutti a la particularité d’être spécialement écrite pour la spatialité des instrumentistes et des chanteurs, tout en traitant du mystère de « L’Eternel entré dans le temps ». Ainsi, à la fois pour des raisons pratiques (pour que tous les musiciens puissent être bien ensemble), mais également pour que même les spectateurs puissent observer « l’avancée inexorable du temps », des écrans permettent de suivre un minuteur tout le long des 43 minutes et 4 secondes de l’œuvre. L’attention de tous est toujours aussi grande, n’ayant aucune direction humaine à suivre mais devant suivre avec précision les secondes qui s’affichent. Certains chanteurs relativement proches offrent un texte assez compréhensible, mais l'écoute n'est pas non plus brouillée pour les autres chanteurs plus éloignés s'appuyant sur la résonance sans effet de réverbération. La texture de cette œuvre est faite de blocs sonores et de contrastes, entre homorythmie aux harmonies parfois solennelles et clusters (grappes de sons) aux couleurs saisissantes. Ces blocs, aux effets parfois stéréophoniques, suspendent ce temps musical spatialisé surtout lors des interventions des intenses chants du violoncelle (Christophe Beau) et des deux chanteuses solistes. La soprano Shigeko Hata, souvent dans les aigus, se fait lumineuse, incisive même, avec une projection aidée par un vibrato souple. Sa voix semble s’envoler avec une certaine légèreté sous les voûtes de l’église, au détriment toutefois de la compréhension du texte (qui n’est pas ici une priorité). La mezzo-soprano Anaëlle Gregorutti aussi souvent dans les aigus de son registre, se fait également lumineuse avec un soupçon de velours dans la voix. L’entremêlement de leurs mélodies fait ainsi oublier le temps (qui défile pourtant sous les yeux des spectateurs).
Chacun des musiciens, solistes et l’ensemble des chanteurs se retrouvent devant pour saluer, ainsi que le compositeur en personne, chaleureusement applaudi.