Tosca cinéma à Malaga
Le metteur en scène Pier-Francesco Maestrini a voulu créer dans cette Tosca (appréciée à Tours) une sorte de "film d’horreur", qui inspire la scénographie et la direction d'acteurs. Ses personnages se déplacent derrière un tulle fin, faisant penser à des figurants derrière le filtre d'une caméra. Le scénographe Guillermo Nova propose des scènes traditionnelles, cinématographiques et réalistes avec des projections vidéos imaginatives. La mise en scène offre pourtant une lecture traditionnelle en ce qu’elle est bien située en 1800 à Rome, les peintures, fresques romaines et personnages sont parfaitement identifiés. Les costumes de Luca dall'Alpi fidèles aux années 1800 donnent une touche de tableau vivant, avec des couleurs sombres pour les personnages aristocratiques, et des teintes pour mettre en avant les protagonistes. Tosca entre dans une robe bleue comme un nuage léger, puis en velours bordeaux dans le Palais de Scarpia.
Les lumières, signées Bruno Ciulli, sont bien calibrées par rapport à la projection vidéo, maintenant un état d’obscurité, mais ne laissant jamais les solistes dans l’ombre. Un cône de lumière pendant le vortex du Te Deum est proposé de nouveau pendant la scène de la prison, comme pour donner un peu d’espoir (autant d'effets non seulement cinématographiques mais qui rappellent aussi La Divine Comédie de Dante).
La soprano arménienne Lianna Haroutounian passe en Tosca d’amante jalouse au désespoir meurtrier puis de nouveau à l’espoir, avec une gamme d’émotions marquées par un timbre précis et une force dans tous les registres sonores. L'aria déploie un phrasé émouvant, mais ferme, annonçant aussi la force du personnage.
Le ténor mexicain Ramón Vargas interprète Cavaradossi d’abord avec discrétion, traduisant une maladresse et timidité du personnage (comme un fougueux amant presqu’empêtré par l’arrivée impromptue de son ami en cavale). Puis, plus à l'aise dans les Actes II et III, résolu, avec un timbre caractéristique et une voix homogène, ses airs et duos s'expriment avec force lyrique et grandeur vocale.
Le baryton-basse lituanien Kostas Smoriginas joue un Scarpia très jeune face à un rôle aussi mature et complexe. La voix est égratignée dans le Te Deum, mais elle se présente sinon homogène et flexible pour accompagner ses mouvements musicaux et scéniques.
Cesare Angelotti est chanté par Luis López avec une voix sombre et brillante, précis dans la diction et le jeu pour ses interventions ponctuelles. Ses graves ronds lui permettent d'assumer cette grande responsabilité d’ouvrir le drame.
Fernando Latorre avec sa diction et sa musicalité personnifie le rôle du sacristain, avec religiosité mais ironie notamment quand soumis à la pression politique.
Cristian Díaz assure également un timbre caractéristique et homogène qui identifient son rôle de Sciarrone. Luis Pacetti joue Spoletta en entrant dans la dynamique musicale, suivant les tempi tout en conservant la diction et une voix équilibrées. Antonio Burgos le geôlier et Cristina Risueño le berger suivent bien la baguette.
La tendance cinématographique rend encore plus évidente la dimension descriptive et poignante de la musique. Pedro Halffter chef d’orchestre, compositeur et directeur artistique au Théâtre de la Maestranza de Séville soutient les solistes (à commencer par une interview dans laquelle il affirme qu'un tel casting pourrait porter une production sur les scènes les plus prestigieuses, comme au Metropolitan à New York, ou à l’Opéra d’État de Vienne). Il dirige l'Orquesta Filarmónica De Málaga avec une intensité orchestrale compacte, mais articulée dans la dynamique : favorisant le développement dramaturgique et psychologique soutenant les inflexions vocales des solistes. Son choix de mettre certains instruments sur scène compose comme une dimension supplémentaire (comme un paysage de cloches semblant sonner sur la place, les percussions venant de très loin). Le chœur dirigé par María del Mar Muñoz Varo déploie la même habileté volontariste, avec des sons intenses et raffinés mais toujours précis. Les petits chanteurs du Pueri Cantores Malaga (dirigés par Antonio Del Pino) les suivent avec professionnalisme et dynamisme.
Le public visiblement touché par le "Vissi d'arte" et toutes les vibrations uniques qui ne se peuvent vivre qu'en présence dans le théâtre, applaudit la représentation et l'espoir que les théâtres restent remplis.