Là-Haut, un Paradis d’Enfer à l’Odéon de Marseille
Là-Haut créée en 1923 aux Bouffes-Parisiens par le compositeur de chansons à succès Maurice Yvain, et ses deux librettistes Yves Mirande et Gustave Quinson (et les paroles chantées d'Albert Willemetz) appartient à ces opérettes qui exigent et valorisent des qualités musicales pour faire plonger dans un univers. Dès l’ouverture dynamique et joyeuse, l’Orchestre de l’Odéon dirigé avec précision par Bruno Conti est pétillant. Les vents et les percussions (de la grosse caisse au triangle), participent à cette dynamique et à une rythmique qui n’est pas sans évoquer les danses des années vingt aux États-Unis.
Dès la fin de cette ouverture, une voix off avertit le public : c’est un rêve. Le héros, Évariste Chanterelle, futur papa, s’est endormi après un repas festif en famille et l’acte I commence au paradis, dans un décor bleuté (d'Emmanuelle Favre), avec de jolis nuages blancs, moelleux et de la fumée qui se propage dans la salle. Le chœur des anges est interprété par les chanteuses-danseuses Priscilla Beyrand, Perrine Cabassud, Emilie Sestier et Sofia Nait. Leurs lignes vocales de soprani sont chantées avec justesse, mais les voix ne sont pas toujours bien placées, en particulier dans l’aigu, manquant de timbre, et les paroles sont inintelligibles. Ce quatuor intervient cependant avec brio dans cette mise en scène de Carole Clin et les passages dansés à la fin de l’acte III : au moment du dénouement, quand Évariste raconte son rêve à sa famille.
Le plateau réunit chez les chanteurs des talents de comédien et de danseur. Fabrice Todaro incarne Évariste Chanterelle avec humour et efficacité. Il arrive du purgatoire pour chanter “Là-Haut”, avec une voix chaude, timbrée, bien projetée. L’articulation du texte est impeccable, la justesse irréprochable et la rythmique sans faille.
Ce dandy parisien est accueilli par Philippe Fargues en Saint-Pierre, qui se présente en chantant : “sitôt qu’on entre au Paradis”. Les nuances sont présentes, le timbre est chaud dans le médium, mais la justesse est parfois défaillante.
Emma, l’épouse d’Évariste est surveillée sur terre par Frisotin, son ange gardien. Caroline Géa est cette épouse, qui viendra même en visite au Paradis, durant l’acte II. Sa voix lyrique riche en couleurs sied à ce rôle, avec des aigus colorés dans le duo “je t’aime encore”. Son ange gardien Frisotin, qui la surveille de “Là-Haut”, est un personnage plein d’humour, déployé par Grégory Juppin avec sa voix franche, bien projetée et une ligne vocale très articulée.
À Paris, dans ce monde imaginaire, le cousin Martel Dominique Desmons, qui avoue son amour à sa cousine Emma à Paris, chante même en s’accompagnant au piano, avec une voix déliée, au phrasé soigné, possédant une diction claire et efficace.
Les voix masculines se mêlent notamment dans des ensembles très harmonieux, s’appuyant sur leur diction et leur rigueur rythmique impressionnante.
Les deux autres personnages féminins déploient quant à elle l’œuvre vers sa part de plus grand lyrisme. “Là-Haut”, toutes les fantaisies sont permises pour Maud, l’amie de famille devenue un ange et incarnée par Julie Morgane. Elle chante à Évariste : “je veux t’avoir à moi”, d’une voix au timbre sensuel, dont les graves sont particulièrement expressifs et soutenus.
Kathia Blas est un ange débordant d’humour, s’exprimant avec l’accent marseillais pour la plus grande joie du public de l’Odéon et s’appelant Marguerite. Elle rêve de voir son homonyme du Faust de Gounod et chante plusieurs fois le début de “l’air des bijoux” , avec une voix de soprano timbrée, expressive, au son riche et musical. Ses interventions sont courtes, mais efficaces.
Là-Haut est ainsi très apprécié par le public de la cité phocéenne, qui rit beaucoup, scande le rythme de la musique en frappant dans les mains (et oublie, un moment, les lourdes contraintes de la situation sanitaire actuelle).
L’Odéon est pour eux, assurément, le Paradis sur Terre de l’opérette !