Il était une fois… Trois Contes de Pesson à l’Opéra de Rennes
Il était une fois une princesse, Proust et le diable.
Une association quelque peu surréaliste pour construire cet opéra de chambre co-signé du compositeur Gérard Pesson et du metteur en scène David Lescot. Le seul lien apparent se trouve dans les interludes instrumentaux qui permettent de glisser d’un conte à l’autre, chacun présentant une atmosphère différente, une diversité de modalités narratives et de paysages sonores.
Le premier conte est une variation humoristique sur le thème de « la princesse au petit pois » d’Andersen traité façon « exercice de style » chers à Raymond Queneau. Cinq variations même, qui sont autant de manières (étirée, resserrée, déviante) d’interpréter la trame narrative formulée avec des niveaux de langage diversifiés (soutenu, simplifié, "d'jeuns"). Le deuxième conte « Le manteau de Proust » d’après le livre éponyme de Lorenza Foschini est une narration plus linéaire, plus intime, qui raconte comment le vêtement de l’écrivain français a pu finir dans une boîte en carton dans les réserves du musée Carnavalet. Le troisième conte inspiré d’une nouvelle d’Edgar Allan Poe « Le Diable dans le beffroi » nous emmène à Vondervotteimittis, un village où tout est réglé comme du papier à musique par le carillon du beffroi. Un être un peu bizarre (le diable) va venir perturber les habitudes de ses habitants. La narration est plus théâtrale avec intervention d’un narrateur et les chanteurs ponctuent ses interventions par des répliques répétitives.
La scénographie est lisible, compréhensible avec des décors et des costumes adaptés. David Lescot et la scénographe Alwyne de Dardel sont fidèles au conte d’Andersen en gardant son imagerie médiévale, fantasmée et légendaire (château féodal, superposition des matelas où est dissimulé le petit pois, costumes de conte de fées imaginés par Mariane Delayre). Des tableaux défilent de façons séquencées pour suggérer le temps qui passe (et se perd) dans la recherche de la relique sacrée par Jacques Guérin, le collectionneur (peut-être est-ce Gérard Pesson lui-même, fervent admirateur de Proust). Un livre géant (façon pop-up) s’ouvre en décor : une place d’un village encerclé de collines et au centre un beffroi où les habitants aux allures rondouillardes oscillent façon culbutos.
La diversité se retrouve aussi dans la musique de Gérard Pesson avec l'utilisation d’une multitude de citations (processus déjà utilisé notamment par Luciano Berio dans sa Sinfonia), de clichés voire de quizz musicaux en guise de clin d’œil ou pour illustrer des mots du texte : la célèbre Marche funèbre de Chopin représente la Pologne lors du récit des pays visités par le Prince, le début de la 5ème Symphonie de Beethoven fait guise de cloche d’entrée du château, le début du thème du jardin de L'Enfant et les sortilèges (Ravel) signe l'arrivée de la Princesse. Puis viendront Toi, toi, mon Toit (Elli Medeiros), l’alternance des deux accords majeur/mineur issus des premières mesures d'Ainsi parlait Zarathoustra de Strauss dessinant quant à elles, au gré de leurs récurrences, une sorte de leitmotiv. Le compositeur n’hésite pas non plus à se moquer des codes de la comédie musicale. Les citations se font plus discrètes par la suite et laissent davantage d'espace à des effets sonores à nature bruitiste et timbrale participant à la richesse de l’orchestration coloriste et atmosphérique, davantage au service de la narration. Dans le dernier conte, l’écriture se rapproche plus de celle de Stravinsky, pseudo-folklorique, avant de conclure sur une écriture traitée en polyrythmie, destructrice de l’immobilité du chœur des villageois, pour l’apparition du diable dansant, figure de l’artiste libérateur.
Cette grande diversité instrumentale est déployée sous la direction d'Aurélien Azan Zielinski par l’Orchestre National de Bretagne dans un effectif de type "un par voix", plus claviers et percussions auxquels s’ajoutent quelques instruments insolites : mélodica et kazoo. Les percussions et cuivres sont très présents tandis que les autres pupitres (bois et cordes) se font plus discrets.
Les chanteurs se glissent comme des transformistes dans des costumes musicaux très divers : déclamation avec quelques passages lyriques dans le premier conte, Sprechgesang (parlé-chanté), parlando et passages un peu plus lyriques, exploitant un ambitus plus élargi dans le second, écriture polyphonique enfin pour le dernier.
Maïlys de Villoutreys incarne la jolie Princesse blonde du conte d’Andersen. Sa voix claire de soprano enchante par la fraîcheur de son timbre pur, sa prononciation précise, son aisance théâtrale. Elle rejoint les ensembles pour des petits rôles : la Visiteuse dans le deuxième conte puis le Garçon dans le troisième. Le ténor Pierre Derhet se glisse d'abord dans la peau du Prince. Sa voix franche, bien projetée, la clarté de son timbre et sa diction impeccable, assurent sa présence scénique autant que son jeu d’acteur. Dans son interprétation de Werner, le vibrato s’élargit lorsque la voix s’amplifie pour donner du relief à son personnage. Il alterne chant et parlé avec aisance.
Le baryton argentin Armando Noguera assure lui aussi plusieurs rôles : sa voix bien projetée au timbre velouté lui sert aussi bien pour le roi autoritaire ou dérisoire du premier conte que pour le rôle de Jacques Guérin, collectionneur passionné de Proust. Il suit toujours le propos et sa diction du français est compréhensible (il assure aussi les répliques du gardien du beffroi). Melody Louledjian incarne tout d’abord la Princesse brune pour une version revisitée du conte. La voix au timbre chaud et nuancée assure la complémentarité avec celle de la Princesse blonde. Elle met ensuite sa voix au service de la guide du musée avec une technique du parlé/chanté maîtrisée.
Jean-Gabriel Saint-Martin interprète de sa puissante voix de baryton Robert Proust, le frère de l’écrivain. La voix est claire et bien projetée, au service de la diction. Il est également serviteur dans le premier conte et maître de maison dans le dernier. Jos Houben (comédien) captive l’auditoire en donnant d’emblée le ton du dernier conte : son accent flamand prête à rire et son jeu scénique investit l’espace.
Enfin, le rôle de la Reine dans le conte d’Andersen, initialement prévu pour Camille Merckx (souffrante et ne pouvant assurer la représentation) est chanté par Victoire Bunel. Il n’est jamais facile de remplacer au pied levé un rôle, encore moins lorsqu’il s’agit d’une œuvre contemporaine. Assise en avant-scène, elle assure la lecture de la partition. Sa voix de mezzo chaude et vibrée manque certes de l’assurance nécessaire pour la projeter suffisamment afin d’en assurer la compréhension, mais elle assure par la suite parfaitement les rôles secondaires (également scéniquement) notamment les polyphonies du troisième conte. La Reine est donc interprétée scéniquement par le metteur en scène en personne pour qui l’atelier de costumes de l’opéra a réalisé l’exploit d’adapter le costume en deux jours. Enfin, le diable est confié à la virevoltante danseuse Sung Im Her.
Le conte rappelle ainsi qu'il permet de tisser une infinité de liens possibles : entre les contes, entre texte et musique, et avec ses lecteurs/spectateurs : dans cette salle enthousiaste, le public de tout âge y a visiblement trouvé son compte.