Fidèle Lucia di Lammermoor à l’Opéra de Liège
L'ancien Directeur général et artistique de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège, Stefano Mazzonis di Pralafera (disparu brutalement en février dernier) avait imaginé en 2015 cette mise en scène de Lucia di Lammermoor, ici reprise par son fidèle assistant Gianni Santucci avec l’aide de Florence Bas. La volonté de l'ancien Directeur continue ainsi de se déployer : revenir aux sources mêmes du livret tout en le respectant, mêlant ainsi en l'occurrence le roman de Sir Walter Scott et la prose de Salvadore Cammarano. La scénographie fait donc évoluer l’intrigue autour des deux lieux principaux : le château de Ravenswood -imposante tour ravie par les Ashton- et la triste demeure de l’héritier déchu Edgardo de Ravenswood, séparés seulement d’une sombre forêt. Les demeures, réalisées par Jean-Guy Lecat, tournent sur elles-mêmes pour faire découvrir leurs intérieurs et se déplacent à vue sur scène pour créer différents plans. Cette scénographie permet notamment au spectateur d’être témoin de la scène du crime de Lucia dans sa chambre à l’étage de la tour, tandis que la fête de son mariage bat son plein en dessous. Les costumes conçus par Fernand Ruiz plongent les spectateurs dans l’Ecosse du XVIIIe siècle même avec une pointe de modernité dans les collerettes aux allures légères (constituées d'arceaux et non pas d’épais et volumineux tissus).
La mise en scène efficace et directe permet donc de profiter pleinement du jeu et surtout des voix des artistes, à commencer par le rôle-titre. Celui-ci est endossé par la soprano Zuzana Marková. Annoncée souffrante, elle le paraît éventuellement ou légèrement lors du premier acte où la souplesse et l’aisance des lignes vocales semblent un peu gênées tout en manifestant déjà une pertinence des phrasés au service du texte.
Elle se préserve visiblement pour la suite, faisant entendre une seule note aiguë un peu acide mais ne faisant aucunement défaut dans le dessin de ses vocalises. Dès le deuxième acte, la voix bien chauffée gagne grandement en aisance, et elle finit de convaincre le public transporté dans le dernier acte par la célèbre scène de folie. Outre ses regards intenses et sa présence scénique délicieusement effrayante, la chanteuse captive par les aigus cristallins de sa longue cadence, moment de bravoure qui arrache de longs applaudissements. Elle est à ce moment-là soutenue par l’intrigante sonorité de l’harmonica de verre (Sacha Reckert) de nos jours habituellement remplacée par celle, plus agile mais moins caractéristique, de la flûte. Zuzana Marková offre encore un touchant air final avant que son personnage ne tombe d’épuisement.
Son amant, le pauvre Edgardo, est interprété par le ténor Julien Behr, au timbre clair et coloré avec goût pour une interprétation toujours sensible. Ses aigus sont souvent sûrs mais sa voix mériterait encore davantage de puissance. C’est également dans le troisième acte qu’il convainc le plus, touchant l'auditoire par des airs expressifs.
Le terrible frère de Lucia, Enrico, est personnifié par le baryton Lionel Lhote, assurément en grande forme ce soir. Dès ses premières interventions, il fait entendre une voix au timbre acéré, très puissante, autoritaire et ferme comme il sied à son personnage. Malgré l’intensité de ses airs, il se montre tout à fait capable de phrasés nuancés, jouant avec aisance d’un souffle pleinement maîtrisé. Il sait même se montrer consolateur et déploie des talents de comédien auprès de sa sœur dans l’acte II.
Raimondo Bidebent, le chapelain des Ashton, est incarné par la basse Luca Dall’amico, dotant le personnage d’un timbre sombre et profond, particulièrement appréciable dans les graves, les médiums faisant entendre de nobles lignes mais les aigus manquant un peu d’assise. Le public ne manque pas pour autant de le saluer également.
La jeune suivante de Lucia, Alisa, est interprétée par la mezzo-soprano Julie Bailly, scéniquement à l’aise, à la voix claire, ronde et suffisamment projetée.
Normanno, grand veneur d’Enrico, est chanté par le ténor Filippo Adami, avec un grand soin apporté à sa diction, portée par une voix très claire et compréhensible, comme par sa présence scénique. Oreste Cosimo engagé pour chanter Edgardo à Nice en mai 2020 (dans une production annulée pour cause de crise sanitaire et qui devrait être reprogrammée) est ce soir le malheureux mari de Lucia, Arturo Bucklaw, lui prêtant son timbre brillant et juvénile de ténor plein d’assurance (ces deux derniers personnages ont vu leurs interprètes être remplacés en pleines répétitions).
Sous la direction de Renato Balsadonna -dont la connaissance de la voix, en tant que chef de chœur également, est rendue patente notamment par sa gestuelle attentive aux lignes vocales-, le Chœur de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège préparé par Denis Segond chante masqué, rendant difficile la compréhension de leurs paroles mais n’empêchant pas d’apprécier pour autant leur son d’ensemble, moelleux et homogène, capable de nuances subtiles plus que de grands effets de masse. L’Orchestre de l’Opéra est constamment vif, au son d’ensemble transparent voire tranchant et pétillant.
Le public liégeois, particulièrement friand de bel canto et visiblement enchanté, applaudit chaleureusement cette production.