Retour de Macbeth au Royal Opera House
Reprise avec confiance par Daniel Dooner, cette production (basée sur la révision parisienne effectuée en 1865 par Verdi) continue de montrer son efficacité réfléchie : les symboles centraux du lit et de la cage dorée évoquent proprement les tensions conjugales et l'attrait fatal du pouvoir qui conduisent ensemble l'intrigue. D'abord lieu de l'ambition naissante de Lady Macbeth, le lit devient ensuite le point central d'une vision onirique dans laquelle le couple sans enfant est entouré d’une progéniture. La cage, quant à elle, abrite le couronnement puis devient l'arène dans laquelle Macbeth est finalement assassiné par Macduff. Le plus frappant dans les idées de Lloyd est probablement le rôle accru que le metteur en scène donne aux sorcières : elles portent d'abord la lettre de Macbeth à sa femme, puis couronnent Macbeth dans le finale du premier acte, et enfin cachent le fils de Banquo, faisant d'elles des protagonistes actifs de l'intrigue. Le public apprécie également ses éclairages sophistiqués signés Paule Constable et les quelques échos évidents du cinéma japonais dans la scène finale.
Cette reprise permet de surcroît le retour du Macbeth de Simon Keenlyside (interprétation déjà gravée en DVD dans cette même mise en scène). À ce stade de sa carrière, la voix de Keenlyside s'est naturellement assombrie, même si, dans les premières parties du rôle, son baryton aigu, naturellement retentissant, n'a pas la profondeur de ton souvent associée au rôle. Pourtant, Keenlyside apporte une profondeur et une intensité remarquées au personnage rongé par l'incertitude et la culpabilité, en déployant un chant audacieusement sans vibrato pour la scène du meurtre. Ses rencontres avec le fantôme de Banquo à la fin de l'acte deux (et plus tard l'interrogation des sorcières dans l'acte trois) montrent son attention caractéristique au texte. La couleur de l’acte quatre est héroïque, suggérant à la fois le désespoir du personnage et son dernier élan (illusoire) de confiance.
Le portrait névrotique de Keenlyside est assorti à la Lady Macbeth d'Anna Pirozzi, cette dernière recevant un accueil enthousiaste du public. La note dominante de son incarnation est l'incertitude, la sensualité et la maturité, plutôt que la séduction vampirique ou le mal mélodramatique : elle est bien le partenaire le plus sûr dans ce mariage, mais non moins tourmenté. Comme rarement, en effet, ce couple se dessine comme de véritables partenaires, avec deux représentations d'emblée empreintes de vulnérabilité et d'angoisse. Cela tient notamment à la vocalité de Pirozzi, dont le registre aigu perçant est compensé par un registre moyen et inférieur lyrique et chaud -la voix de poitrine étant utilisée de manière légère plutôt qu'agressive, et le legato étant une priorité tout au long de la représentation. Dès son aria d'entrée, Pirozzi démontre sa colorature sûre et sa maîtrise de la ligne, le finale du premier acte étant couronné par un ré bémol supérieur assourdissant. L'aria du deuxième acte "La luce langue", en revanche, n’est que sombre incertitude, la reprise du Brindisi à la fin de l'acte étant délivrée avec un air de désespoir. La scène finale de somnambulisme permet à la chanteuse de démontrer une fois de plus son habileté à peindre les mots (le ré bémol final étant malheureusement donné fortissimo plutôt que pianissimo, mais couronnant néanmoins un portrait fasciné).
Dans le rôle court mais vital de Banquo, Günther Groissböck fait office de choix luxueux, l’air étant livré avec un sens sûr de la ligne, sa noirceur et sa force vocale contrastant bien avec Keenlyside. Dans le rôle tout aussi important mais bref de Macduff, l'ancien membre du programme de jeunes artistes maison David Junghoon Kim démontre son engagement expressif et son registre supérieur sûr, même si une certaine instabilité de ton l’entache parfois. Les deux chanteurs se mêlent cependant bien à Keenlyside et Pirozzi, en privilégiant le lyrisme à la force vocale pure et en portant une attention particulière au texte.
Dans les rôles mineurs, trois membres actuels du Jette Parker Young Artists Program font forte impression. Dans le rôle de Malcolm, Egor Zhuravskii révèle surtout une voix de ténor bien contrôlée et persuasive qui ferait de lui un Macduff naturel dans une reprise ultérieure. Dans le rôle de la Dame d'honneur, April Koyejo-Audiger fait preuve d'une vocalité chaleureuse et d'une présence scénique assurée, tandis que Blaise Malaba se montre également sûr dans le rôle du Médecin.
Sous la direction de William Spaulding, l’excellente forme du Chœur du Royal Opera House lui permet de s'épanouir dans une variété de caractères. Les scènes des sorcières sont énergisées, le célèbre chœur "Patria oppressa" est pleinement contrôlé. Une grande partie du mérite revient également au chef d'orchestre Daniele Rustioni, extrêmement énergique et en contrôle de la partition. De l'ouverture (avec ses anticipations de la scène de tempête de Rigoletto) au grand ensemble du deuxième acte, Daniele Rustioni (chef principal de l’Opéra national de Lyon depuis 2017) offre un récit plein de détails orchestraux et de précision rythmique, montrant clairement pourquoi il est si souvent cité comme un successeur possible d'Antonio Pappano (en poste in loco jusqu'à la fin de la saison 2023/2024). Avec Pirozzi, il reçoit l'ovation la plus enthousiaste du public, à l'issue d'une représentation qui montre combien le Royal Opera reste en pleine forme après l'ouverture de la nouvelle saison et la réouverture de la maison.