Turbulences à l’Opéra de Liège avant Lucia et Otello
Vendredi 12 novembre, deux chanteurs engagés dans des rôles de complément de la production de Lucia di Lammermoor à l’Opéra Royal de Wallonie ont appris par leurs agents respectifs en être écartés, huit jours seulement avant la première. Le lendemain, l’Assistante à la direction artistique, Madame Reho (nommée en ce mois de novembre 2021), annonçait devant le Chœur, l’Orchestre, la régie et les autres solistes réunis, que Maxime Melnik qui devait interpréter Arturo, et Zeno Popescu qui devait tenir le rôle de Normanno, ne rencontraient pas “la qualité attendue par la direction” et se trouvaient donc remplacés (par Oreste Cosimo pour Arturo et Filippo Adami pour Normanno). Madame Reho aurait alors indiqué que ce type de situation serait amenée à se reproduire, la direction devant faire une inspection des choix artistiques de la précédente direction, et que le soutien de tous serait alors attendu.
Si les remplacements de chanteurs pour raisons artistiques se produisent régulièrement, les artistes et les maisons d’opéras s’accordent d’habitude bien souvent pour donner une version officielle avançant d’autres motifs (surmenage ou souffrances passagères notamment), alors qu’ici la décision est annoncée de but en blanc, sans explications concrètes ou précises quant aux reproches adressés aux solistes, et la manière fait encore plus réagir : la violence des propos tenus en public (puis confirmés dans un communiqué de presse) semble inversement proportionnelle à l’importance des rôles. D’autant que les deux chanteurs étaient régulièrement invités, dans des rôles d’importances similaires, par feu Stefano Mazzonis di Pralafera (auquel Stefano Pace a succédé au début du mois dernier). Nous décrivions ainsi pour Les Puritains que Zeno Popescu disposait “d’un beau timbre vif, profond et guttural dans la continuité de ses incarnations précédentes in loco” (lire le compte-rendu) et pour Norma : “sa voix est franche, cerclée de belles harmonies, de graves puissants et d'aigus plus subtils. Sa présence sur scène au côté de Pollione sonne juste” (lire le compte-rendu). Concernant Maxime Melnik, si nous le jugions “un peu léger” en Messager dans Aida en 2019 (lire notre compte-rendu) et indiquions quelques semaines plus tard que le chanteur parvenait “à se mettre en valeur dans le petit rôle de Sir Hervey, par un timbre lumineux et une émission très directe, qui manque toutefois encore d’assise et de justesse, notamment du fait d’un vibrato trop présent” (lire notre compte-rendu), nous écrivions pas plus tard qu’en septembre dernier que “la légèreté de [sa] voix” était saluée par le public pour La Force du destin (lire le compte-rendu).
De son côté, l’Opéra de Liège se refuse à tout commentaire et explication au-delà du communiqué par lequel ils réitèrent qu’“Afin d’assurer à la production de Lucia di Lammermoor le niveau global de qualité que le public est en droit d’attendre, le Directeur général et artistique de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège a pris la décision de remplacer deux solistes, estimant qu’ils ne rencontrent pas en ce moment la qualité nécessaire pour assurer le niveau de la production. Des doutes ont surgi quant à ces deux artistes lors des premières répétitions. Ces doutes se sont confirmés lors de la première répétition en scène avec l’orchestre (italienne). Dès lors, le Directeur général et artistique a pris la difficile décision de remplacer les artistes concernés”. Les doutes évoqués n’ont toutefois jamais été discutés avec les intéressés avant leur mise à l’écart.
Maxime Melnik est également écarté de la production d’Otello de Rossini, dans laquelle il devait incarner Iago. Un rôle plus conséquent (même si le personnage a une importance moindre dans l’opéra de Rossini que dans celui de Verdi), mais pour lequel la direction de l’Opéra n’a eu aucune occasion de l’entendre, les répétitions n’ayant pas commencé. “Les dégâts moraux sont irrémédiablement là, nous explique-t-il. L’attente le lendemain en entendant chanter mon remplaçant, et les propos violents devant l’assemblée furent le couronnement de l’humiliation. Il semble donc que nous sommes tout d’un coup incompétents et indignes. Nous voilà diffamés et meurtris dans ce qui paradoxalement était pour nous une maison bienveillante”.
Depuis ces événements, les nouvelles se bousculent. Lundi, l’Opéra annonçait que sa Directrice musicale Speranza Scappucci ne prolongerait pas son mandat au-delà de la saison en cours. Une décision prise “il y a plusieurs semaines”, annonçait-elle sur les réseaux sociaux, infirmant de fait tout lien avec la polémique actuelle. Elle aurait en effet reçu une offre de prolongation du Directeur de l’Opéra, Stefano Pace, qu’elle aurait refusée du fait d’un calendrier à venir très chargé en raison des reports de productions à l’international, et elle confirme également qu’elle reviendra dans la maison comme cheffe invitée.
Dans le même temps, l'agence de presse Belga affirmait mardi que le Vice-président du Conseil d’administration de l’Opéra, Philippe Monfils, a demandé une réunion d’urgence du CA pour comprendre les motivations de ces renvois, mais aussi du licenciement d’un responsable des ressources humaines "sans que le conseil d’administration sache pourquoi” ainsi que pour obtenir des explications sur “la réintégration d’une assistance de direction artistique évincée par l’ancien Directeur général et artistique en 2016 pour conflits d’intérêts”. Pour ne rien simplifier, un recours en annulation contre la procédure de nomination du Directeur général et artistique Stefano Pace aurait été introduit au Conseil d’Etat par un candidat non sélectionné lors de la procédure de nomination, information confirmée par le Président du Conseil d’Administration Willy Demeyer toujours à l’agence Belga. En effet, la désignation du nouveau Directeur aurait été réalisée par un Conseil d’Administration irrégulièrement composé, car non renouvelé depuis les élections régionales de 2019.
Souhaitons que tous les artistes et la maison lyrique puissent rapidement retrouver la sérénité indispensable, a fortiori pour des carrières naissantes, des débuts de mandats et en ces temps déjà bien assez troublés.