Madame Butterfly, papillon blessé mais remplacé à l’Opéra Grand Avignon
Après Peter Grimes de Britten mis en scène par le nouveau directeur maison, Frédéric Roels pour célébrer la réinauguration de l'Opéra dans la cité des Papes, place au grand romantisme italien avec la dramatique Madame Butterfly de Puccini (dans une production créée à l’Opéra Nice Côte d'Azur par celui qui dirigeait alors le Théâtre de Nice).
Le metteur en scène Daniel Benoin avance l'intrigue, qui se déroule dans le livret au tout début du XXe siècle (en même temps que la composition de l'opéra) et qui est ici placée dans l'après-Seconde Guerre Mondiale (avec des projections d'images du bombardement nucléaire de Nagasaki). Ses lumières composent aussi bien la nuit étoilée que le lever du soleil mais se focalisent sur les moments et objets dramatiques clés (notamment l'arme du suicide). Les décors typiques (de Jean-Pierre Laporte) immergent dans une petite maison sans prétention au milieu des montagnes japonaises embrumées, avec des costumes typiques adaptés à chaque rôle (confectionnés par Nathalie Bérard-Benoin et Françoise Raybaud). L'ensemble compose des tableaux mélangeant moments de douceur (la nuit de noces), moments de tension (le retour de Pinkerton) et entre les deux des scènes plus descriptives et pittoresques (figurants et choristes représentent la famille de la jeune japonaise).
La soprano Noriko Urata étant souffrante, elle est remplacée dans le rôle-titre par Héloïse Koempgen (appréciée en octobre dernier sur nos colonnes dans un répertoire moderne). Celle-ci vit et transmet les émotions de son rôle par une théâtralité intense, un timbre léger et pur. Cependant, le vibrato parfois instable délaisse les fins de phrases. La délicatesse s'allie toutefois à l'intensité dans son grand air "Un bel di vedremo".
La mezzo-soprano Marion Lebègue est une Suzuki fidèle à sa maîtresse, par sa gestuelle ancillaire complète. Le grain vocal est rond et voluptueux, avec des lignes expressives mais coulant librement sur le phrasé et la prosodie avec naturel. Le traître amant Pinkerton a le jeu scénique efficace grâce à l'expressivité sincère d'Avi Klemberg. Ému et émouvant dans son amour premier avec Butterfly, sa voix s'appuie sur des médiums suaves et des graves réconfortants. Les aigus restent encore parfois un peu serrés mais sont vite rattrapés par la musicalité des phrasés.
Le rôle du Consul des États-Unis Sharpless revient au baryton Christian Federici dont le jeu scénique dynamique est élancé par un timbre généreux et caverneux. Goro, chanté par le ténor Pierre-Antoine Chaumien révèle une diction distincte dans un écrin particulièrement léger et énergique. Le ténor Matthieu Justine s’adapte avec aisance à ses rôles du Prince Yamadori et du Commissaire Imperial grâce à son timbre fin et pincé. Les élans de colère de l’Oncle Bonzo sont rendus dramatiques et frappants par le baryton Jean-Marie Delpas, entouré du chœur soutenant encore ses propos. Le baryton Virgile Frannais incarne un Yakuside droit au timbre patiné et large.
La vraie Madame Pinkerton (Kate) offre le timbre chaud et musclé de Pascale Sicaud-Beauchesnais, le tout dans une présence imperturbable. Enfin, le petit Dolore, fils de Cio-Cio San est donné ce soir à Alma Brémard (en alternance avec Théo Antoni) qui bouleverse le public par ses interactions franches et simples avec sa mère.
Des choristes maison complètent la distribution dans les rôles aux interventions plus brèves, comme le solennel Officier du baryton Jean-François Baron au timbre chaud et harmonieux, la tendre Mère de l’alto à la texture veloutée Wiebke Nölting, la Tante par l’alto Laura Darmon-Podevin à la voix luisante et la Cousine de la soprano Marie Simoneau au son frais.
La direction gracieuse et claire de Samuel Jean guide l’Orchestre National Avignon-Provence dans les couleurs instrumentales et dramatiques du style Puccinien. Le Chœur de l’Opéra Grand Avignon dynamise et apporte du support à la narration, malgré quelques passages où certaines entrées musicales sont effacées, voire absentes.
Le public fait un franc succès à cette reprise, à son interprète principale pour ce remplacement au pied levé et à cette suite de retrouvailles avec l'Opéra Grand Avignon.