Vêpres de Rachmaninov à Saint-Eustache avec le Chœur de Radio France
Le projet "Chorus Line" porté par le Chœur de Radio France et sa Directrice musicale Martina Batič a vu la majorité de ses concerts reportés ou annulés la saison dernière (nous en avons néanmoins couvert trois), dont ces Vêpres de Rachmaninov, initialement prévues à la Maison de la Radio mais qui prennent finalement place en l'église Saint-Eustache (dans une acoustique plus adaptée à l'œuvre que Rachmaninov estimait être l’une de ses créations les plus réussies, il fut même enterré selon son souhait au son de ces Vêpres en 1943).
Cette musique particulièrement exigeante est un sommet pour toute phalange chorale. D'une considérable variété musicale, la partition exploite toutes les divisions vocales du chœur, notamment les basses profondes qui doivent étoffer le tissu sonore polyphonique. Les quatre chanteurs basses trônent ici à l’avant et au centre de l'ensemble, reliant ainsi les deux pôles vocaux (féminin et masculin), apportant la cohérence et pâte robuste traditionnellement requises dans le chant russe. Les Vêpres ou La Grande Louange du soir et du matin (All Night Vigil), est en effet pensé pour un long office qui relie les textes des vêpres et des matines, la nuit durant (du soir au matin). La musique seule (sans la cérémonie religieuse) se concentre au concert en une heure mais n’en invite pas moins une assistance de fidèles zélés : ceux de la musique chorale qui emplissent l’église.
L’heure de chant intense et continu ne provoque aucune fatigue chez les choristes, au contraire : leur endurance remarquée se maintient du début jusqu’à la fin. Une prière prononcée depuis le Chœur, imitant le chant d’un prêtre russe, ouvre la cérémonie musicale et plonge dans l’univers de la liturgie orthodoxe. Ce coup d’envoi est suivi d’une éruption sonore (Venez, adorons) où les sopranos et altos s’épanouissent déjà pleinement, mais presqu’au détriment des hommes. Si ce rapport de forces paraît inégal, Martina Batič, rigoureuse dans sa direction, parvient à (re)mettre les choses en place par la suite. La cohésion s’installe et persiste, surtout parmi les femmes qui projettent une sonorité suave et angélique (Bienheureux l’homme), ainsi que lumineuse et étincelante (Maintenant, Seigneur). La palette des nuances de l’ensemble est pigmentée de piani délicats et de forte convaincants et puissants, mais entonnés avec mesure tout en puisant dans le potentiel acoustique résonnant de l’église. L’union vocale ardente de la partie masculine produit une énergie fulgurante (Béni sois-tu, Seigneur), tandis que le crescendo choral harmonieux atteint son comble dans l’Ave Maria. Les ténors et les sopranos s’unissent joliment vers la fin du concert, ces dernières se distinguant par leur justesse inébranlable (dans les aigus tantôt tendres, tantôt fervents), soutenue par une prononciation du russe très correcte et toujours compréhensible.
Le ténor soliste Johnny Esteban se présente depuis le fond du chœur par une émission droite et retentissante. Sa ligne lyrique et chaleureuse est celle d’un ténor (à la) russe. La prononciation s’avère éloquente et persuasive, avec une sonorité irradiante qui s’appuie sur la voix de poitrine et de tête, solide et nourrie. Le phrasé expressif s’appuie sur celui du chœur.
Sa collègue Marie-George Monet met son alto fin et délicat au service de la prosodie, savamment articulée. Sa musicalité n’est pas en retrait (contrairement au volume, parfois). Son chant parfois imperceptible, couvert par l’ensemble, est toutefois précis et nuancé sur le plan expressif.
Le Chœur finit en apothéose avec Vierge souveraine, sur un ton optimiste et foisonnant d’une énergie qui se transmet à travers le public, à son tour enthousiaste et reconnaissant, récompensant les artistes par de longs applaudissements.