Un Requiem allemand de son temps et hors du temps à Versailles
Tout dans la conception de ce concert résonne avec le temps (actuel et historique) : la date choisie, veille du 11 novembre (marquant la fin de la Première Guerre Mondiale), le lieu (Versailles, symbole du pouvoir français et lieu de la signature du traité de Versailles devant marquer la paix), l’Ensemble Pygmalion (français à rayonnement international notamment avec sa défense du patrimoine musical des deux côtés du Rhin), et bien entendu cette œuvre que Brahms a nommée “Un Requiem allemand”. L’article indéfini “un” (et non pas simplement Requiem allemand ou Le Requiem allemand) est déjà en soi une ouverture puisqu’il se présente comme un Requiem parmi d’autres, y compris ceux d’autres nations et dans d'autres langues. De surcroît, Brahms a confié avoir hésité à nommer cette œuvre “Requiem humain”, sentiment qui résonne donc ici à nouveau dans la concorde de la Chapelle Royale du Château de Versailles.
Le concert s’ouvre par deux œuvres plus courtes a cappella, de Mendelssohn et de Brahms, le temps d’officialiser cette invitation culturelle germanique et l’atmosphère à la fois douce, solennelle et recueillie qui englobera la soirée. Chaque note contribue déjà à dessiner les couleurs des accords rayonnant vers les voûtes de la Chapelle Royale. À l’image de ces notes qui forment les accords et résonnent, chaque partie du Requiem dévoile ensuite son propre caractère : la douceur unissant chanteurs et instruments sur des percussions marquantes, puis des crescendi mis en suspension pour mieux se développer à nouveau vers de saisissants accents vocaux pleinement investis, avant une grande concorde musicale lumineuse. Le chef Raphaël Pichon guide cette exploration avec la précision minutieuse de ses gestes et l’élan de ses mouvements (mais toujours attentifs).
Les deux solistes affichent une prestance affirmée et adaptée au caractère de leurs interventions. Cependant, malgré un timbre mélodieux et vibrant, la soprano Mari Eriksmoen semble se réserver au niveau de la projection et manque de tonicité. Les aigus sont faciles et purs, mais ne renforcent pas la solidité de la ligne (qui donne parfois une impression de fragilité, manquant aussi un peu de volume). D’un timbre plus sonore et plus marquant, le baryton Andrè Schuen s’applique à relever ses phrases par des nuances travaillées, sur un corps de voix profond et charnu. Le dernier mouvement le voit se jeter dans de profondes phrases expressives à travers un discours fluide en puisant dans des graves corsés et francs.
Le public remercie chaleureusement les artistes de cette soirée, dans son temps et hors du temps, dans ce lieu et ouvert au monde.