Le Vaisseau Fantôme s’amarre à l’Opéra de Massy
L'Opéra de Massy affiche salle (quasi) pleine, avec aussi la présence de Roselyne Bachelot (annoncée comme la première venue d'un Ministre de la Culture à l'Opéra de Massy).
La mise en scène est placée sous le signe d’une relative sobriété et de la suggestion. Seul élément permanent : la vaste proue fantomatique d’un navire échoué d’une couleur gris anthracite qui se métamorphose à vue, selon le moment, en rocher de tous les dangers. L’apparition en fond de scène d’un village du littoral norvégien à l’acte II vient circonscrire l’univers petit-bourgeois et intéressé dont Senta cherche à s’évader dans sa farouche contemplation du portrait du Hollandais légendaire et en s'enivrant de la fameuse légende qui la trouble tant. Les différents lieux sont ainsi soulignés par des projections vidéos montrant les rochers ou la mer déchaînée. La mise en scène se veut avant tout illustrative, sensible au déroulement de l’action mais au détriment d’une trame dramatique plus insistante. La scène finale n'en est pas moins bouleversante, montrant Senta effondrée au sol et comme happée par les flots pour conclure avec force un spectacle mené avec précision et dans le respect constant du chanteur.
Directeur musical depuis septembre 2019 de l’Orchestre National d’Ile-de-France, le chef américain Case Scaglione révèle ici sa direction lyrique. Dès l’ouverture pleinement maîtrisée et ancrée dans la ferveur, Case Scaglione mène son orchestre avec une autorité certaine qui jamais ne vient interférer sur sa vision certes dramatique mais tout aussi soucieuse d’explorer toutes les ressources de cette partition fascinante. Il en fait vibrer chaque note, chaque instant. Jamais il ne vient couvrir les prestations vocales, mais les accompagne avec soin et dans un souci constant du détail et du résultat. L’Orchestre National d’Ile-de-France s’engage sans restriction et les différents pupitres, dont les cuivres dûment sollicités, se parent de très riches couleurs. Il en va de même pour les Chœurs réunis sur ce Vaisseau fantôme, ceux d’Angers Nantes Opéra et ceux de l’Opéra de Massy, préparés par Xavier Ribes. La cohésion -notamment chez les hommes- soutient un engagement de premier ordre.
Dans le si complexe et difficile rôle du Hollandais, Nicolas Cavallier fait preuve d’une endurance et d’un mordant qui jamais ne se relâchent au cours de la représentation. Sa voix de baryton-basse varie les couleurs et la densité même de son chant sans chercher à le grossir à tout prix. Il offre un portrait sensible du Hollandais, décidément plus humain que maléfique.
De même, Catherine Hunold aborde la rêveuse Senta avec toute la féminité requise, l’innocence préalable qui sied mais aussi une détermination qui la pousse aux extrêmes et au sacrifice. La ballade est interprétée avec une exaltation qui demeure toujours raffinée et un sens de la ligne vocale remarqué. Elle domine ce rôle de grand soprano dramatique avec aisance, une énergie sans excès, avec l’émission d’aigus à la fois rayonnants et dardés, une voix puissante par nature qu’elle parvient à canaliser à bon escient, voire à alléger lorsque le rôle l’exige. Des débuts qui s'ajoutent au palmarès de son parcours wagnérien.
Marie-Ange Todorovitch incarne une Mary très présente au plan strictement scénique. Au plan vocal, sa voix de mezzo de caractère semble en cette soirée plus en retrait, moins assise qu’à l’habitude et le grave paraît un rien forcé. Christophe Berry compose un rayonnant Pilote, très vivant, sa voix de ténor lyrique aux aigus lumineux et d’une facilité réjouissante convenant pleinement à ce personnage candide et presque romantique. De son côté, le ténor brésilien Ewandro Stenzowski fait valoir des qualités presque identiques dans le rôle ingrat d’Erik, d’un timbre assez clair mais auquel le côté un rien plus héroïque ici requis fait encore défaut. L’aigu se déploie cependant avec une aisance certaine alors que le médium se fait plus sourd. De son côté, la basse Mischa Schelomianski chante le rôle de Daland d’une voix assurée, charnue et bien conduite. Le grave profond manque un peu de rayonnement pour pleinement franchir la rampe cependant.
Une soirée saluée avec enthousiasme par un public ravi de retrouver à l’Opéra de Massy, le spectacle vivant.