Michael Spyres explore le répertoire “baryténor” à Strasbourg
Le titre de ce concert, qui est celui de la série de récitals et du nouvel album de Michael Spyres, “BariTenor” pose de nombreuses questions, liées à l’évolution de la voix de ténor en opposition à celle du castrat, depuis le XVIIIe siècle. L’Idoménée de Mozart signe notamment la revanche face aux castrats. Il en va de même pourles ténors haendéliens (faisant attendre d’autant plus Michael Spyres en Septimius de l’oratorio Theodora, qu’il abordera ce mois-même au TCE avec Lisette Oropesa et Joyce DiDonato). Ces ténors se sont en effet développés avec une voix relativement grave (par distinction avec la voix de haute-contre à la française, dont l’ambitus s'approche peu ou prou du contreténor falsettiste), mais très nettement distincte de celle de basse : voyant l'émergence d'un “baryténor” (fusion de baryton et ténor) notamment rossinien, dont Andrea Nozzari fut le plus illustre représentant avec sa voix allant du sol grave au contre-ré.
Du programme choisi par Michael Spyres pour ce concert, seul l’air de l’Otello de Rossini “Ah! Si, per voi gia sento” (que nous vous présenterons dans notre série d’Air du Jour à paraître dans quelques jours) illustre véritablement cette catégorie vocale particulière, mise en valeur ces dernières décennies par des chanteurs comme Chris Merritt ou Bruce Ford, véritables baryténors. C’est assurément dans ce répertoire que Spyres est dans son élément. L’extension de la voix de basse vers le baryton Verdi est illustrée par l’extrait du Trouvère, l’air du Comte de Luna “Il balen del suo sorriso”, que Michael Spyres chante avec de véritables couleurs barytonales tout en déployant des aigus d’une limpidité dont les barytons Verdi sont rarement capables. .
L'ambiguïté autour du terme de baryténor est entretenue par la présence au programme de rôles dont il existe plusieurs versions (Hoffmann et Werther), ou encore de rôles spécifiquement composés pour un baryton, en l’absence -à l’époque de la création de l’ouvrage- de ténor capable d’interpréter un rôle de premier plan (Hamlet d’Ambroise Thomas, composé pour le baryton Jean-Baptiste Faure). Là aussi, les aigus éclatants de Michael Spyres laisseraient presque deviner ce qu’aurait pu être ce rôle s’il avait au final été confié à un véritable ténor. Plane également sur le concert la figure du baryton dit “Martin”, cette voix ambiguë qui se retrouve aussi bien chez Debussy avec Pelléas que dans le répertoire de l’opérette, ici illustré par le Danilo de La Veuve joyeuse (sujet de notre nouvelle série d’Air du Jour à paraître lundi).
Quelles que soient les difficultés à saisir les nuances de cette mystérieuse catégorie vocale telle que l’entend Michael Spyres, l’auditoire ne boude pas son plaisir d’écoute, visiblement époustouflé par la versatilité du chanteur. Le déferlement de vocalises est émis dans la plus impeccable tenue de souffle. Le mordant de la ligne, la rage contenue dans certaines ornementations sont encore rehaussés par les choix de versions très vocalisantes ou relevant considérablement la tessiture (évitant de trop sombrer dans les graves). Le chanteur use aussi d’un falsetto claironnant ou de graves plus caverneux, toujours versatile et jusqu’au fameux contre-ré (du Postillon de Longjumeau) dont le public est généreusement gratifié comme il le fut à l’Opéra Comique. Le tout est de surcroit rendu dans un français irréprochable, langue dans laquelle il choisit d'interpréter Lohengrin de Wagner, surprenant ainsi le public. L’allemand est ensuite aussi impeccable pour refermer la soirée en légèreté, en chant mais aussi en déclamation. Acclamé à cor et à cri par des applaudissements enthousiastes, Michael Spyres électrise la salle en bis (pourtant annoncé dans le programme) avec les contre-uts de La Fille du Régiment et l’art consommé du récit dont il a fait une de ses marques de fabrique.
L’Orchestre Philharmonique de Strasbourg est en grande forme pour l’accompagner, dirigé par Marko Letonja, qui semble adhérer pleinement au projet artistique du soliste. La phalange strasbourgeoise montre toutefois davantage d’affinités avec les épanchements wagnériens (Prélude du troisième acte de Lohengrin) ou les douceurs viennoises (Ouverture de La Veuve joyeuse) qu’avec la rigueur du répertoire mozartien ou le phrasé belcantiste. Les pupitres masculins du Chœur de l'Opéra national du Rhin, préparé par Alessandro Zuppardo, font également grande impression, y compris les interventions des solistes issus du chœur parmi lesquelles se détachent Sangbae Choï en Iago et Nicolas Kuhn en Athanaël.