Rolando Villazón incarne Orphée Salle Gaveau
Sous la conduite de Christina Pluhar, le mythe d’Orphée est ressuscité, et, ensemble, les musiques de Monteverdi, Rossi ou Sartorio racontent les tourments du malheureux poète par la perte de son Eurydice. Au-devant de la scène trône une table où, sur une nappe pourpre, sont disposés des fruits, une coupe de vin et surtout, un crâne -vanité qui rappelle évidemment l’approche inéluctable de la mort et l’imminence de la tragédie qui frappera l’heureux couple. À mesure que l’histoire se déroule, cette table se garnit d’autres accessoires : deux clémentines d’abord, la nourriture symbolisant évidemment la profusion et la richesse de l’amour des deux héros, qui seront rejointes ensuite par une longue rose rouge qu’Orphée offrira à Eurydice dans le duo "Rosa del ciel", puis par une petite lyre, et enfin, par une malheureuse chandelle qu’Orphée déposera sur le crâne en se lamentant sur le sort de sa bien-aimée.
L’histoire des deux amants est narrée par l’enchaînement, sans interruption comme dans un seul opéra, des diverses pièces issues de plusieurs compositeurs baroques : Monteverdi rayonne bien sûr ici, mais Rossi n’est pas en reste et c’est son "Lasciate averno" qui conclura d’ailleurs le concert. S’y joint un air de L’Orfeo de Sartorio, ainsi qu’une symphonie de Cavalieri qui fait office d’ouverture, et d’autres danses ou morceaux de Caccini, Merula et Allegri, en guise d’interludes. Ils sont repris avec une grande habileté par les musiciens de L’Arpeggiata, menés par Christina Pluhar : l’orchestre est vif, agile et surtout délicat, cherchant à pénétrer chaque nuance, tout en se gardant de donner dans des éclats trop vigoureux. La mesure est de mise, ce qui n’empêche pas les rythmes légers d’embaumer la salle et de toucher le public, qui note par ailleurs la présence lumineuse de la harpe.
Could there be more wonderful surprise guests Celine Scheen and Philippe Jaroussky?! A wonderful night at Musikfest Bremen with @larpeggiata and Christina Pluhar for Orfeo son io! pic.twitter.com/atvNhG4h7j
— Rolando Villazón (@RolandoVillazon) 7 septembre 2021
Rolando Villazón est un Orphée expressif et fougueux. Vêtu de son éternel veston de velours bordeaux, il entame une Passacaglia della Vita endiablée, où il captive par son débit fluide et sa théâtralité, soulignant avec force gestes les mots « bisogna morire » qui reviennent à chaque couplet. Il devient ensuite l'Orfeo, de Monteverdi puis de Rossi. La voix est dotée de riches nuances sombres, le chant est agile et s’adapte pleinement aux rythmes rapides de certains airs. Le chanteur qui poursuit par ailleurs une carrière de metteur en scène et de baryton, reprend ici sa tessiture de ténor pour déployer de grandes cascades de notes et, malgré quelques maladresses dans la technique ou le manque de clarté de certains passages, il émeut le public par son implication totale dans le rôle. Certes expressif à l’extrême, Rolando Villazón offre, plus que la théâtralité, l’honnêteté d’un chant en peine, sans jamais tomber toutefois dans le pathétique.
Mais Orphée est aussi contre-ténor ce soir-là, en la personne de Philippe Jaroussky. Avant toutefois d’endosser, pour un air, le rôle du poète, le contre-ténor est la Messagiera qui vient annoncer à Orphée le funeste destin de sa fiancée. Il apparaît ainsi sur scène, élégant dans son costume noir et déploie soudainement une voix pure et cristalline, contraste étonnant avec le timbre sombre de Villazón. Avec aisance, il propose un chant limpide et pudique, autre contraste avec l’expressivité du ténor. Enfin, Jaroussky est Orphée dans le duo Dormite, begl’occhi qu’il partage avec Céline Scheen, où les deux voix s’accordent en harmonie pour ne devenir plus qu’une.
L’Eurydice de Céline Scheen est dotée d’une voix souple, ronde et chaleureuse. Elle apparaît gracieuse dans le duo Rosa del ciel où elle dit son amour à Orphée avec une joie sincère, reprise également dans le "Mio ben" de Rossi. C’est toutefois avec Sartorio ("Orfeo, tu dormi?"), qu'elle émeut le plus, par la verve sentimentale qu’elle déploie dans le chant.
Après les derniers, lugubres, « A morire » d’Orphée, et les applaudissements d’un public conquis, le bis est l’occasion de ramener un peu de douceur dans la salle, notamment par le Pur ti miro du Couronnement de Poppée que chantent ensemble Céline Scheen et Philippe Jaroussky (lequel s’excuse de voler la vedette à un Villazón ravi, qui lui répond « Mais je vous adore ! », sous les rires de la salle). Les deux voix s’entremêlent à nouveau pour honorer la musique de Monteverdi et Jaroussky, d’un geste, invite Villazón à les rejoindre. Le duo ne devient pas trio car seuls les deux interprètes continuent à chanter, mais tout en minaudant autour du ténor qui, amusé, se prête à son tour à leur jeu. Ainsi s’achève le concert et, sous les applaudissements frénétiques du public, Villazón ramasse la rose sur la table et inonde la scène de ses pétales, pour clore en beauté cette soirée d’abord si mélancolique.
A wonderful evening at @MusikvereinGraz with @larpeggiata and Christina Pluhar - full house and standing ovations for Monteverdis masterpiece LOrfeo! pic.twitter.com/CFi2H16NJS
— Rolando Villazón (@RolandoVillazon) 1 novembre 2021