Macbeth, drame d’aujourd’hui à Dijon
L’Opéra de Dijon ouvre sa saison lyrique avec le terrible Macbeth de Verdi inspiré par Shakespeare, dans une production de la jeune metteuse en scène Nicola Raab. Par le jeu des reports liés à la pandémie, cette production, qui était sur le point d’être présentée au public lorsque le premier confinement à fait taire le monde et la culture, vient prolonger le geste artistique de l’ancien Directeur Laurent Joyeux sur ce début de mandat de Dominique Pitoiset. Déplacée dans une époque contemporaine, l’intrigue montre des gouvernants enfermés dans des boites blanches aseptisées (décors esthétisants signés Ashley Martin-Davis ayant l’avantage de réverbérer les voix, même lorsque les artistes sont de dos), tout à leurs luttes de pouvoir, tandis qu’à l’extérieur des gangs sèment le chaos et des migrants sont jetés loin de leur terre. Dans cet univers moderne, la guerre se fait à distance, une frappe chirurgicale permettant finalement d’éliminer Macbeth sans le moindre combat. Hélas, l’effusion de sang ne semble pas devoir s’arrêter là : le chœur final célébrant un Malcolm belliqueux reste hanté par les sorcières, images de la soif de pouvoir qui avaient incité Macbeth à assassiner le Roi Duncan, sorte de double âgé de son bourreau symbolisant déjà la perpétuation du crime.
La musique si expressive de Verdi est servie par Sebastiano Rolli qui lève haut sa baguette à la tête de l’Orchestre Dijon Bourgogne. Si la flûte, pourtant importante dans l’expression du mystère se perd dans la grande salle de l’Auditorium, la matière sonore produite par la phalange reste dense et pénétrante, notamment grâce aux cuivres vigoureux, aux cordes mélancoliques et aux timbales tempétueuses. La phalange sait incarner le mystère, mais aussi l’ironie par le grincement qui accompagne les archets sautillants de l’acte II. Le Chœur de l’Opéra de Dijon est très en place et juste scéniquement, sculptant un son riche en harmoniques, aussi bien réuni dans un chœur de migrants que séparé par genre : les femmes sont des sorcières effrayantes, dont les consonnes chuintantes sifflent à l’unisson, tandis que les hommes laissent couler la testostérone dans leurs voix de soldats ou d’assassins.
Stephen Gaertner, second rôle régulier du Metropolitan de New York, campe ici le rôle-titre, auquel il apporte sa sensibilité, la finesse de ses lignes et la légèreté de son vibrato. Sa couverture vocale confère à sa voix des reflets moirés et une certaine douceur, témoin de la fragilité du personnage, mais nuit à sa projection, notamment dans le médium.
Alexandra Zabala offre à Lady Macbeth des médiums aussi larges que l’ambition de son personnage et des aigus aussi tranchants que le poignard qu’elle place dans la main de son mari. Son timbre se fait mielleux pour pousser au crime et plus acide lorsque la crainte apparaît. La voix est souple dans les vocalises, même si les difficultés marquent son visage de ses crispations. Son détachement dépeint un personnage sans scrupule, excitée par les meurtres et le pouvoir : l’interprète est également prête à toutes les compromissions vocales, n’hésitant pas à altérer sa voix pour mieux laisser entendre la perversité de celle qu’elle incarne. Puis, lorsque le remord s’empare de sa raison avant de lui prendre la vie, la voix s’affine, fin filet nuancé et vibrant.
Le très verdien Dario Russo campe un Banco à la voix charbonneuse, large, résonante et au phrasé noble. Ses graves solides sont riches et bâtissent un personnage attachant. En Macduff, Carlo Allemano produit un chant puissant et engagé, au timbre chaud, au médium brillant et au vibrato rapide, transmettant l’émotion du personnage dans sa complainte pour sa famille assassinée. Le jeune ténor de 25 ans Yoann Le Lan est un Malcolm au timbre très clair et à la voix vive, mais dont la projection pourra encore s’affirmer.
La voix d’Élodie Hache ressort des ensembles, épaisse et satinée. La mise en scène offre à son personnage une grande présence scénique, ce qui lui permet de forger une Suivante de Lady Macbeth complexe car complice. Jonas Yajure est un Docteur touchant à la voix corsée et au phrasé sculpté. Zakaria El Bahri remplit ses fonctions de Héraut et d'Assassin avec clarté et d'un phrasé sentencieux.
À l’heure des saluts, le public manifestement ravi de ce retour en salle, offre un accueil chaleureux à l’ensemble des protagonistes, équipe de mise en scène comprise. Place désormais à L’Isola Disabitata (lire notre dossier) pour entrer de plain pied dans le mandat de Dominique Pitoiset.