Patrick Foll : « Une grande solidarité entre les maisons d’opéra durant cette crise »
Patrick Foll, l’an dernier, vous dressiez un constat alarmant de la situation économique du Théâtre. Après une nouvelle année de crise sanitaire, quelle est la situation aujourd’hui ?
Nous sortons de cette crise tout juste à l’équilibre. Nous avions un énorme enjeu lié aux tournées puisque nous avions 2 millions d'euros de cession à des théâtres (pour un budget total de 9,3 M€) avec Le Ballet royal de la nuit et Coronis. Nous étions le théâtre lyrique français qui tournait le plus. Nous avons bénéficié de la solidarité de nos partenaires, puisqu’à l’exception d’un seul théâtre, tout le monde a participé à l’indemnisation des contrats que nous avions avec les interprètes : nous avons donc pu honorer l’intégralité de nos engagements. La profession a joué le jeu, et tout particulièrement l’Opéra de Lille, qui programmait les deux spectacles. Par ailleurs, il faut souligner que nos tutelles ont -heureusement- maintenu les aides sur lesquelles elles s’étaient engagées. Enfin, nous avons bénéficié d’aides de l’Etat auxquelles nous n’étions pas habitués, notamment au titre du plan de relance. Cela nous a été extrêmement précieux : c’est notamment ce qui nous a permis d’offrir un vrai temps de travail en plateau aux équipes artistiques de Cupid and Death, et de monter notre projet « Ecoutez, c’est déjà demain » qui a pour but de soutenir de jeunes artistes. Nous n’avons pas de matelas, mais nous parvenons à rester à l’équilibre, après bien des nuits agitées.
L’an dernier, la fermeture des théâtres est intervenue juste après votre réouverture avec Vivian : clicks and pics de Benjamin Dupé : comment cela s’est-il passé ?
Nous avions en effet pu jouer la création de Benjamin Dupé, Vivian : clicks and pics. En revanche, Benjamin a dû annuler la tournée de ce spectacle, qui devait suivre. Nous avons pu jouer trois dates du Ballet royal de la nuit au Théâtre des Champs-Elysées et nos trois dates à Caen, mais tout le reste de la tournée (Lille, Luxembourg, Nancy) a été annulé.
Les productions annulées pourront-elles être reportées ?
Nous avons sauvé en priorité nos coproductions avec d’autres théâtres. Par exemple, le Falstaff mis en scène par Denis Podalydès, qui n’a pas pu être créé à Lille, ne peut pas se jouer chez nous cette saison mais nous avons pu le reporter en 2024. De même, nous avons sauvé le magnifique Pelléas et Mélisande, également coproduit avec Lille. En revanche, l’aventure du Ballet royal de la nuit devrait s’arrêter là car nous étions sur des reports tellement éloignés que se posait le problème de la disponibilité des chanteurs, et même de l’âge des acrobates : nous avons donc privilégié un autre beau projet avec l’Ensemble Correspondances, qui va tourner énormément en 2023/2024. De toutes nos tournées, nous avons pu sauver celle de Coronis qui sera repris à l’Opéra Comique pour quatre dates, alors qu’il n’y en aurait eu que deux si le spectacle n’avait pas été annulé par la pandémie.
Cette fois, la reprise se dessine, avec des spectacles à jauge pleine : comment le public répond-il ?
Il répond présent dans sa grande majorité, même si une partie reste dans un certain attentisme. J’espère que les spectateurs qui nous manquent encore ne se satisferont pas que du numérique après en avoir pris l’habitude pendant un an et demi de fermeture des salles. Nous constatons pour l'instant une baisse de 20%, ce qui nous place dans les bons élèves, mais ce qui se ressent forcément car ce n’est pas négligeable. Je retiens toutefois que 80% du public répond présent, ce qui est énorme vu ce que nous avons vécu. J’ai bon espoir qu’une partie des absents va se laisser emporter par le désir et l’émotion du spectacle vivant en voyant que les représentations se confirment. Nous avons passé la saison dernière à annuler les spectacles : je comprends que le public soit échaudé. Nous avons d’ailleurs ressenti un effet de lassitude, voire d’écœurement, l’an dernier.
Le pass sanitaire et le port du masque ont-ils un impact ?
Nous n’avons pas eu de réaction négative face à ces mesures. Nos spectateurs expriment dans leur grande majorité que le masque est un gage de sécurité, même si nous préfèrerions bien entendu tous vivre sans masque. Mais forcément certains trouvent cela trop inconfortable et ne reviendront que lorsque cela pourra se faire sans masque.
Quelles leçons peuvent être tirées de cette crise ?
Tout d’abord, on nous faisait le reproche dans le passé de ne pas travailler suffisamment en réseau. Je retiens qu’à l’occasion de cette pandémie, il y a eu un vrai élan de solidarité entre les maisons d’opéra. Nous nous sommes serrés les coudes dès le début de la crise. Cela s’est fait sans injonction. Bien entendu, nous étions chacun responsables de nos navires mais nous avons aussi cherché à préserver l’écosystème de toutes les forces artistiques qui gravitent autour de nos maisons, les artistes interprètes et créateurs bien entendu mais aussi les ensembles indépendants dont le modèle repose sur d’importantes recettes propres.
Autre fait notable : l’Etat s’est mis à notre écoute. Avant le Covid, il était très compliqué pour une maison comme la nôtre d’initier un dialogue : nous nous heurtions souvent à un mur. Cette crise a, je l’espère, permis aux tutelles de mieux appréhender l’ampleur de l’emploi artistique que nous créons. J’espère que les relations de confiance qui se sont construites pendant cette période perdureront. Nous sommes tous conscients que nous devons faire évoluer nos maisons, ce que souligne d’ailleurs le rapport Sonrier, mais nous aurons besoin d’être accompagnés, et nous aurons besoin de l’Etat, en plus des collectivités locales qui sont de toute façon les premiers financeurs des maisons d’opéra en dehors du périphérique de Paris. J’ai le sentiment que l’Etat à l’occasion de cette crise s’est de nouveau intéressé à l’écosystème de l’opéra en région : j’espère qu’il nous maintiendra cet intérêt après la crise.
Vous présentez actuellement Le Bourgeois Gentilhomme, avant George Dandin en janvier, deux comédies-ballets de Molière et Lully, sauvées des années dernières : était-ce important de participer à l’année Molière ?
Je trouvais important d’y participer en remettant à l’honneur la musique de Lully, qui concourt à la dramaturgie de ces pièces : elle ajoute de la cruauté au propos de la pièce, surtout sur George Dandin. Certains résument la musique à un divertissement, mais c’est aussi un outil dramaturgique, un instrument de théâtre : l’opéra est du théâtre chanté dont la musique est le grand vecteur.
Vous indiquiez l’an dernier vouloir travailler avec des artistes issus du territoire : c’est le sens du projet Ecoutez, c’est déjà demain !. De quoi s’agit-il ?
Nous avons voulu mettre en valeur quatre formations ou personnalités artistiques issues du territoire caennais ou normand mais qui développent une carrière bien au-delà, en cohérence avec le projet du Théâtre puisque tous les projets ont une dimension musicale, soit classique (Trio Nebelmeer), soit jazz (Black Pantone) soit de théâtre musical avec deux artistes femmes : Jeanne Desoubeaux qui s’apprête à franchir un nouveau palier avec un projet ambitieux qui tournera autour du mythe d’Orphée, et enfin Julie Héga qui était dans l’univers du théâtre et a participé au magnifique Innocence d’Aix-en-Provence. Suite à cette production, elle s’est mise à chanter et elle présentera un programme de théâtre musical grâce à cet accompagnement. Le Théâtre de Caen a souvent été impliqué dans le début de carrière d’artistes et d’ensembles : François-Xavier Roth y a dirigé son premier opéra, Benjamin Lazar y a fait sa première mise en scène d’opéra, Emmanuelle Haïm y a fait ses premiers pas avec son ensemble, etc. Enfin, j’ai aimé qu’il ne s’agisse pas d’un dispositif fermé mais d’une sorte de carte blanche : nous avons demandé à ces artistes de quoi ils avaient besoin, et les accompagnements sont donc très différents. Nous aidons ainsi Black Pantone à sortir son deuxième album et le Trio Nebelmeer à faire son premier disque qui va sortir chez Mirare. Nous serons coproducteurs du prochain spectacle de Jeanne Desoubeaux. Enfin, nous offrons à Julie Héga un temps de laboratoire afin qu’elle se teste dans une forme musicale. Tous ces accompagnements comportent une rencontre avec le public, qui est d’ailleurs en entrée libre. Cet accompagnement est partagé avec tout un écosystème composé d’autres structures culturelles de Caen, et notamment le Conservatoire de Caen, l’école Musique en Plaine, qui est en périphérie sud de Caen, et le Musée des Beaux-Arts. Cela a du sens dans une période où les artistes se décloisonnent.
La résidence de l’Ensemble Correspondances donnera lieu à un nouveau projet en novembre, Cupid and Death : de quoi s’agit-il ?
C’est un projet que nous portons à 50-50 avec le Centre international de création théâtrale (CICT), qui est la maison-mère du Théâtre des Bouffes du Nord et désormais aussi de l’Athénée, et avec des coproducteurs comme l’Opéra de Rennes, l’Atelier Lyrique de Tourcoing et le Théâtre de Compiègne. Ce projet est né dans le cadre de la résidence de l’Ensemble Correspondances au Théâtre de Caen : nous avions déjà l’idée de ce titre et du duo de metteurs en scène Emily Wilson et Jos Houben. Sébastien Daucé avait le souhait de développer une présence sur Paris, et en particulier avec le CICT. Nous avons pu mettre en commun nos forces et nos réseaux, ce qui nous a permis de monter une tournée fantastique de 26 dates : c’est le CICT qui gère cette tournée, et c’est un enjeu important dans l’économie de cette production. Le montage de la production a été porté par le CICT et nous reprenons la main en offrant trois semaines de répétitions sur le plateau du Théâtre de Caen. À noter que cette production naît d’une alliance entre une structure publique, le Théâtre de Caen, et une structure dite privée, le CICT, pour monter une œuvre qui est totalement en dehors des sentiers battus, tant en termes de répertoire qu’en termes de forme, et dont la diffusion se fera sur l’ensemble du territoire français.
« Cupid & Death est vraiment une œuvre de divertissement, du grand spectacle »
Pourquoi avoir choisi cette œuvre ?
D’abord, c’est à ma connaissance la première fois que nous faisons un masque au Théâtre de Caen. Nous avons par contre donné plusieurs semi-opéras (qui ont succédé aux masques), notamment de Purcell. Le masque est une forme extrêmement originale, dans un esprit de comédie et de théâtre très affirmé, même si, comme dans la comédie-ballet, la musique concourt de manière très importante à la dramaturgie et à l’œuvre. Ce masque est le seul à nous être parvenu dans son intégralité, à la fois pour le texte et la musique, sachant que Matthew Locke a recyclé de la musique de Christopher Gibbons. Cela va permettre de redécouvrir ce qu’était un spectacle de cour en Angleterre à cette époque, et le parallèle avec les comédies-ballets qui sont leur équivalent français sera intéressant. Il y a une dimension tragi-comique qui rappellera la zarzuela baroque Coronis que nous avons présentée il y a deux ans. Cupid and Death est une œuvre de grand divertissement.
La mise en scène est signée Jos Houben et Emily Wilson : quel sera l’univers créé ?
Nous serons dans un esprit de théâtre de tréteaux. Cette œuvre tourne autour de l’idée de désordre, puisque l’inversion des flèches de l’amour et de la mort crée un immense quiproquo et un grand capharnaüm. Cela mettra en relief l’hétérogénéité de cette œuvre qui alterne entre théâtre et musique en permanence, d’où la présence des musiciens sur scène. Cela affirme que les musiciens sont partie prenante de l’action. Jos Houben est selon moi l’un des plus grands mimes, et il travaille beaucoup sur l’absurde dans son théâtre, ce qui me semblait très pertinent par rapport à cette œuvre. Il fallait que les corps des chanteurs et des comédiens expriment cette absurdité : un mime a cette capacité à diriger les corps. Il apportera également son humour, car il y a quelque chose de loufoque dans cette œuvre, qui rappellerait presque les Monty Pythons. Emily Wilson s’est beaucoup intéressée au théâtre anglais du XVIIème siècle. Cette œuvre a été créée à l’occasion de la signature d’un traité de paix entre l’Angleterre et le Portugal : le sujet de la rencontre est grave et sérieux, ce qui ne les empêche pas à l’époque de s’amuser avec ce masque.
En janvier, vous présenterez Treemonisha, opéra de Scott Joplin : quelles sont les origines de ce projet ?
Le collectif Isango est venu à Caen il y a trois ans : nous avions présenté A Man of Good Hope, qui racontait l’histoire de la traversée du continent africain par un orphelin ayant perdu ses parents à la guerre qui allait chercher une nouvelle vie en Afrique du Sud, et nous avions repris leur version de la Flûte enchantée de Mozart, qui avait été donnée au Théâtre du Châtelet quelques années auparavant. Isango est un projet qui pose la nécessité de l’art. Les artistes de la compagnie ne sont pas des professionnels à l’origine, mais des Sud-Africains qui vivent dans les townships de Cape Town. C’est un projet social qui a pour but de sortir les gens de la pauvreté par l’art. Il y a une grande cohérence entre le propos de Scott Joplin et l’histoire d’Isango. L’œuvre a un propos politique qui consistait à dire que les Afro-américains ne sortiraient de la misère, de l’obscurantisme et du communautarisme que par la culture et l’éducation. À une époque où la question est posée de savoir si la culture est essentielle ou non, Scott Joplin répond que c’est l’instrument qui permet aux humains de devenir des êtres libres et maîtres de leur destin. C’est un vrai propos politique au sens noble du terme.
À quoi faut-il s’attendre ?
Nous ne serons pas dans la version traditionnelle de l’opéra : il a été écrit pour un orchestre d’opéra classique car l’objectif était de faire de la grande musique, tandis qu’Isango l’emmènera dans une version plus jazz et ragtime, qui sont les racines de Scott Joplin. L’instrumentarium sera celui de la compagnie Isango : des marimbas et des xylophones, des percussions, etc. C’est une œuvre absolument sublime, du niveau de Porgy and Bess. Nous aurons des chanteurs qui honoreront l’œuvre de Scott Joplin. Nous ferons quatre dates car je suis persuadé que l’œuvre parviendra à attirer un public plus large que celui de nos seuls habitués.
En janvier toujours, votre compositeur en résidence Benjamin Dupé présentera un projet créé en 2014 à Avignon, Il se trouve que les oreilles n’ont pas de paupières. Que pouvez-vous en dire ?
Ce spectacle est repêché du premier confinement. Il entre dans la résidence de compositeur de Benjamin Dupé. C’est une pièce emblématique de son univers : il a toujours cette volonté d’être en dialogue avec d’autres disciplines. Il replace toujours la musique dans un lien avec la création contemporaine de manière plus large. Sa musique rencontre ici un texte de Pascal Quignard, qui est l’un des auteurs contemporains les plus habités par la question de la musique. Interroger la question de la matière musicale à travers un dialogue entre une composition et un texte concourt à mon fil rouge de la musique dramaturgique.
En février, vous présenterez Les Sept Péchés capitaux de Kurt Weill, déjà passé par l’Athénée en fin d’année. Qu’en aviez-vous pensé ?
C’est un projet dont nous sommes coproducteurs et que j’ai beaucoup aimé. Bertolt Brecht et Kurt Weill ont écrit cette pièce au moment de l’accession au pouvoir d’Hitler en Allemagne, alors qu’ils se sont réfugiés à Paris. C’est la branche parisienne des Ballets Russes qui leur passe cette commande originale. Jacques Osinski ramène l’œuvre dans une dimension théâtrale. Le texte aborde le sujet politique de la question de la morale : la morale aboutit souvent à l’inverse des principes qu’elle énonce. Jacques Osinski rappelle que les nazis s’étaient appuyés sur la morale pour conquérir le pouvoir en Allemagne. Dans cette œuvre, une femme en arrive à se prostituer pour réaliser son rêve américain : c’est un procédé immoral, mais elle rencontrera dans son parcours des gens d’une amoralité plus grande encore. La production est dans une forme cabaret avec un orchestre de chambre.
Ce ne sera toutefois pas le même orchestre qu'à l'Athénée puisque l'Orchestre Régional de Normandie sera dans la fosse à la place de l’Orchestre Pelléas. Pourquoi ce choix ?
L’Orchestre Régional de Normandie est un partenaire important pour moi, et qui a cette légitimité pour aborder ce répertoire. C’est une formation atypique avec seulement 16 musiciens permanents. Par ailleurs, ils n’ont pas de chef permanent : Jean Deroyer en est le chef principal mais ce n’est pas lui qui dirige tout. Cela permet d’inviter Benjamin Levy qui connaît déjà cet orchestre.
En mars, vous jouerez la production de Cosí fan tutte par Laurent Pelly qui sera avant créée au Théâtre des Champs-Elysées : est-ce important de présenter aussi des ouvrages très connus du public ?
Il faut un équilibre, en effet. C’est notre rôle de proposer des points d’identification pour le public tout en l’incitant à découvrir des ouvrages plus rares. Cela fait très longtemps que nous n’avions plus joué Cosí fan tutte à Caen. Le dernier que j’ai programmé, c’était avec Jean-Marie Blanchard à l’Opéra de Nancy [que ce dernier a dirigé de 1996 à 2001, ndlr]. Quand Michel Franck m’a parlé de ce projet avec cette équipe magnifique, j’y ai adhéré immédiatement. Ce sera l’un des premiers Mozart de Laurent Pelly, qui aura fort à faire car Cosí fan tutte est sublime musicalement, mais difficile à mettre en scène. Je n’ai aucun doute qu’il en proposera une lecture passionnante, loin des clichés qu’on peut associer à cette œuvre. Ce sera formidable d’avoir Emmanuelle Haïm et Le Concert d’Astrée à cette occasion : le public est de plus en plus demandeur d’entendre Mozart joué sur instruments d’époques. En clair, ce ne sera pas juste un Cosí de plus.
À quoi ressemblera la mise en scène de Laurent Pelly ?
La narration sera transposée dans un studio mythique des années cinquante dans le Berlin de l’ex-RDA. L’intrigue se déroule à l’occasion de l’enregistrement d’un disque de Cosí fan tutte par des chanteurs. Dans ces situations, les temps d’attente sont propices à ce que des choses se passent. Laurent Pelly offrira une vision plus complexe qu’à l’habitude de cette mauvaise farce.
Vous invitez à cette occasion une distribution cinq étoiles, composée d’Anna Aglatova, Gaëlle Arquez, Cyrille Dubois, Laurent Naouri, Vannina Santoni, Florian Sempey : qu’en dire ?
C’est une distribution de rêve. À noter que Cyrille Dubois a fait ses classes avec la Maîtrise de Caen. Il a gardé une attache forte avec ce territoire : c’est bien de montrer un artiste qui a commencé ici adolescent revenir dans un rôle important. De même, Gaëlle Arquez est passée au Conservatoire de Caen. Cela montre l’importance de l’écosystème : les chanteurs apparaissent parce que des acteurs d’un territoire se sont structurés pour permettre cette émergence. Le projet de la Maîtrise est partagé entre le Conservatoire et le Théâtre de Caen et il permet à certains de développer une carrière professionnelle par la suite.
En mai, vous présenterez Alcina de Haendel. La production sera dirigée par Václav Luks à la tête de son Collegium 1704 : vous indiquiez l’an dernier vouloir développer ce partenariat, notamment pour vous associer à de nouveaux lieux de représentation à l’international. En l’occurrence, le Théâtre national de Brno est coproducteur : est-ce un axe stratégique important pour le Théâtre de Caen ?
Le Collegium 1704 fait partie de l’histoire que j’ai développée en tant que Directeur ici à Caen, puisque je les ai invités dès 2006, pour un Haendel déjà. Il s’agissait alors de leur premier projet scénique d’importance. À l’époque, le Directeur de l’Opéra national de Prague, qui coproduisait, était Jiří Heřman qui est aujourd’hui Directeur de l’Opéra de Brno (la deuxième ville de Tchéquie, ville natale de Janacek qui dispose d’une vie musicale très intense) et qui mettra en scène cette production. Depuis, nous avons fait beaucoup d’autres productions avec eux : Collegium 1704 et son chef sont parmi les meilleurs en Europe sur la musique du XVIIIème siècle. Avec l’Opéra de Brno, nous ne sommes pas dans un déséquilibre trop important en termes de taille : c’est un théâtre national mais qui a des logiques de production qui correspondent à nos enjeux artistiques et économiques. Ils ont par ailleurs un positionnement géographique parfait car ils sont en Europe centrale : nous pourrons j’espère nouer des partenariats au-delà. En France, Versailles s’est associé à cette aventure.
La mise en scène sera donc signée Jiří Heřman : à quoi ressemblera-t-elle ?
Jiří Heřman travaille toujours avec des scénographies très fortes, signifiantes, avec une force symbolique. Ce sera imposant : il faudra quatre semi-remorques pour amener le décor. Il évoquera un monde magique, qui se transformera à vue. Cela sera très esthétique avec une alternance de scènes en intérieur et en extérieur. Les costumes seront très signifiants eux aussi : ce sera une très belle production, avec encore une belle distribution, dont notamment Karina Gauvin et Ray Chenez.
Enfin, vous présenterez en juin L’Arche de Noé de Britten, qui mettra en scène la Maîtrise de Caen. Pourquoi avoir choisi cette œuvre ?
C’est un sujet d’actualité : les signaux du dérèglement climatique deviennent plus que tangibles. Cette histoire de Noé a donc une résonance avec notre monde contemporain. Il m’est apparu important que des adolescents, qui vont vivre, je le crains, la suite des dérèglements, s’emparent de ce chef d’œuvre qui a été écrit pour de jeunes chanteurs. Nous les embarquons dans cette arche, qui symbolise le fait que nous ne nous en sortirons qu’en étant collectivement impliqués.
Vous invitez l’Orchestre des Élèves du Conservatoire à accompagner l’Orchestre Régional de Normandie : quel est cet orchestre-là ?
Britten a composé cette œuvre pour des professionnels et des amateurs. C’était très visionnaire. Il y a une dimension participative puisqu’un orchestre d’élèves joue aux côtés d’un orchestre professionnel, tandis que des parties de l’œuvre sont chantées par le public, aux côtés des solistes qui seront sur scène. Nous profitons de cette création pour mener un programme de médiation auprès de 800 élèves : il y aura des ateliers de chant dans les écoles et une sensibilisation aux enjeux climatiques. Cela montre qu’une maîtrise et un théâtre sont un catalyseur des forces du territoire. Tout le monde s’associe pour partager une aventure artistique. Il y aura deux séances pour les écoles et une séance tout public.
Quel sera votre programme de récitals cette saison ?
Véronique Gens, qui a interprété beaucoup de rôles ici à l’époque de la résidence des Arts Florissants, viendra avec l’Ensemble I Giardini de Pauline Buet, qui je le rappelle a eu aussi une histoire avec Caen. Son programme Nuits sera centré sur la musique française. Nous accueillerons aussi Cyrille Dubois autour de mélodies de Fauré pour un nouveau programme avec Tristan Raës. Dans l’idée de mettre en valeur les forces de la Normandie, nous présenterons aussi Les Musiciens de Saint-Julien dans un programme avec Tim Mead autour de Vivaldi. Il y aura deux concerts de Sébastien Daucé. Le premier, s’articulant autour des musiques de Charpentier pour Molière, s’appellera Musiques de scène et sera mis en espace par Jos Houben et Emily Wilson. Le second sera centré sur les Motets de jeunesse de Michel-Richard de Lalande, avec ses premières grandes œuvres sacrées à Versailles. On peut aussi mentionner le concert Simply Mozart de Julien Chauvin.
Votre théâtre est pluridisciplinaire : quels seront les grands événements de votre saison chorégraphique ?
Nous inviterons Philippe Decouflé et son Shazam, spectacle chorégraphié avec de la musique live. Nous verrons aussi la nouvelle création d’Alban Richard, Directeur du Centre chorégraphique de Caen, qui s’appelle 3 Works For 12, qui est créée au Festival Musica à Strasbourg et rassemblera trois pièces musicales minimalistes des années 1970, de Louis Andriessen, Brian Eno et David Tudor pour 12 danseurs à chaque fois. Magma de Christian Rizzo sera un duo entre Marie-Agnès Gillot, qui est la seule Caennaise ancienne étoile de l’Opéra de Paris, et un grand danseur de flamenco Andrés Marín dans une rencontre improbable. Il y aura une composition pour deux grands performeurs de la contrebasse électrique et de la batterie qui seront, là encore, joués en live. Le Lac des cygnes viendra dans la version d’Angelin Preljocaj. Et puis il y aura le Gloria qui était un projet que José Montalvo voulait centrer sur le Gloria de Vivaldi, et qui avec le Covid a dérivé sur autre chose, mais dans lequel le dialogue entre musique et danse est extrêmement fort.
Vous proposerez aussi du music-hall : quelles sont les affiches ?
D’abord, il y aura On n’est pas là pour se faire engueuler avec Nicolas Simon, qui est le chef principal de l’Orchestre du Conservatoire de Caen, pour finir cette année 2021 et tourner la page. Ce projet autour de l’œuvre de Boris Vian se fera avec la Maîtrise de Caen et Le PVC Symphony, qui est un ensemble amateur d’élèves qui jouent avec des instruments fabriqués à partir de pièces en PVC habituellement utilisées par les plombiers. Ils en font des flûtes, des saxophones, des trompettes, etc. Ils joueront avec les musiciens de La Symphonie de Poche, qui est un ensemble créé par Nicolas Simon. L’autre grand rendez-vous sera le nouveau tour de chant de François Morel qui s’appelle La Grande Vie. C’est un projet que nous avons sauvé du premier confinement. François Morel a fait ses études à Caen et a gardé un lien avec cette ville. Il est fou de music-hall : il montera une nouvelle forme puisqu’il associe son quatuor habituel à l’Orchestre Régional de Normandie qui sera dirigé par la jeune cheffe Alexandra Cravero. La pré-maîtrise, composée d’enfants en classes primaires, interprétera certaines chansons avec lui.