L’Opéra de Metz fête Halloween avec la comédie musicale Frankenstein Junior
Le Théâtre est rempli pour accueillir avec curiosité cette comédie musicale de Mel Brooks et Thomas Meehan adaptée en français par Stéphane Laporte, avec le souci de rendre le spectacle aussi fluide que dans sa version originale.
La configuration de l’Orchestre Halloween, pour une comédie musicale à la manière de Broadway, comporte notamment un discret synthétiseur et un saxophone baryton, rappelant assez facilement l’esprit de la musique américaine des années 1920-1930. Par rapport aux configurations plus « classiques », l’orchestre sonne très généralement plus fort. Les chanteurs et chanteuses sont toutes et tous équipés de micro serre-tête, de sorte que l’orchestre ne couvre quasiment jamais le chant (et sans doute pour garder l’esprit de la comédie musicale).
La mise en scène signée Paul-Émile Fourny conserve ce rythme assez soutenu, amenant très naturellement et rapidement le public dans cet univers à la fois étrange et drôle grâce à la réunion des décors d’Emmanuelle Favre, lumières de Patrice Willaume et chorégraphie de Graham Erhardt-Kotowich. Les costumes, créés par Dominique Louis, mélangent assez subtilement l’univers citadin des années 1930 avec l’univers plus conservateur (comparativement plus "démodé" et rural) des personnages transylvaniens.
Dans cette comédie musicale, tous les chanteurs sont également acteurs burlesques et danseurs. La performance de Vincent Heden, qui interprète le Docteur Frederick Frankenstein, démontre une diction impeccable, même avec un flot de texte au débit très rapide. Sa voix de ténor, avec un vibrato très ample sur une ligne très claire, quoiqu'un peu trop riche dans les harmoniques aiguës, guide le public dans l’histoire. Son numéro de claquettes pendant le standard de Jazz Puttin’ On the Ritz d’Irving Berlin rencontre un grand succès, à l'image de son travail d'interprète, lui qui parle et chante sans nullement choquer dans la transition entre les deux.
Léonie Renaud, qui joue Elizabeth la fiancée de ce Frankenstein Junior, incarne l’archétype de la mondanité bourgeoise américaine. Celle qui interprétait Marzelline dans Fidelio en juin semble beaucoup s’amuser. Arrondissant sa voix pour ce rôle, elle dévoile un peu plus de puissance sonore, sur un vibrato très ample, au cours du deuxième acte, comme pour libérer une avalanche d’amour pour le Monstre de Frankenstein.
Gregory Juppin joue avec beaucoup de conviction le rôle d’Igor (prononcé a-i-gor), sorte de Majordome du Docteur Frankenstein. Si son travail de danseur et d’acteur sont remarqués, reprenant en partie le rôle typique de zanni dans la Commedia dell’Arte, sa voix de ténor est parfois un peu submergée par l’orchestre.
Valérie Zaccomer incarne un autre rôle amusant, celui de Frau Blücher. Avec un costume typique de gouvernante du XIXe siècle, elle anime le château des Frankenstein d’une voix d’alto, un peu blanche et peu puissante mais ronde. Elle offre un drôle de solo avant la fin du premier acte pour évoquer son amour pour l’arrière grand-père du Dr. Frederick Frankenstein, le fameux Dr. Victor von Frankenstein. D’ailleurs, le rôle de ce dernier, et celui de l’Inspecteur Hans Kemp, est attribué à Laurent Montel. Alors qu’il prend une voix de baryton pleine de profondeur, avec l’accent au « r » roulé d’un aristocrate d’Europe de l'Est pour le rôle de l’arrière grand-père, il éclaircit sa voix pour incarner l’inspecteur, prenant alors un accent indéfinissable, changeant assez aléatoirement les voyelles quand il parle.
Rôle assez effacé, celui de Ziggy, incarné par Paul Bougnotteau, est très secondaire, bien plus théâtral que musical. S'il anime néanmoins l'opéra d’une voix un peu discrète mais droite, c’est surtout par son rôle dansé qu’il se distingue, tout comme l’apparition en fin d’opéra du Comte Dracula, par Ludovic Gerastre, simplement acteur pour un clin d’œil typique aux monstres et films d'horreur.
Et même s'ils ne semblent pas de prime abord importants dans le déroulement de l'histoire, tout comme Ziggy et Dracula, le Chœur et le Ballet participent pourtant amplement au déroulement de cette comédie musicale. La scène en tutti à la fin du premier acte sur le thème de la Transylvania Mania est notamment marquante, durant laquelle Igor tente une diversion pour calmer les villageois, notamment en improvisant une danse improbable reprise par tout le ballet et chantée, mais aussi dansée par le Chœur. Prolongeant ainsi les scènes suivant les codes de la comédie musicale, le Chœur et le Ballet, sans faire perdre de vue l'action en cours, l'entoure d'une énergie nécessaire au rythme effréné de l'histoire.
Dans cette comédie musicale, Christian Tréguier tient le rôle d’un ermite auquel le Monstre de Frankenstein rend visite un peu par hasard. Aveugle, l’ermite offre maladroitement le couvert au Monstre dans une scène qui commence parlée mais qui finit par donner au baryton de l’espace pour un chant de complainte plein de vibrato.
Incarnant Inga, un rôle de paysanne à l’accent du Tyrol qui roule beaucoup les « r », Lisa Lanteri vient prouver la complémentarité nécessaire entre sa carrière de danseuse de Ballet et son nouveau choix de carrière en tant que soprano. La comédie musicale étant son nouveau terrain de jeu, elle joue de sensualité et de souplesse physique avant de se lancer dans un Yodl qui fait spontanément applaudir le public. Sa voix de soprano, claire, mais avec un vibrato très prononcé, réussit au moins à corrompre le docteur Frankenstein Junior au point de le rendre amoureux d’elle.
Le Monstre de Frankenstein, joué par le baryton Jean-Fernand Setti, grand dans tous les sens du terme, est un personnage attachant. Méchant sans en être trop effrayant, il est dessiné comme un personnage de Disney : dangereux, domestiqué puis autonome. Jean-Fernand Setti accompagne cette évolution du personnage, en grands contrastes avec les autres interprètes, par celle de son évolution vocale : ses grognements jusqu’au milieu du deuxième acte aboutissent sur un chant puissant et projeté, avec une diction précise sans être exagérée.
À l'image de la confusion qui n'a jamais cessé dans la plupart des esprits autour du nom de "Frankenstein" et sur son identité (entre le docteur et sa créature), le spectateur peut se demander qui est la vedette de ce spectacle. Les plus de cinq minutes d'applaudissements ne permettent pas d’y répondre ce soir.