Passion selon Saint Jean intimiste à La Grange au Lac d’Evian
Le Festival d’Automne de La Grange au Lac d’Evian programme cette année deux concerts de musique sacrée avec La Passion selon Saint Jean de Bach et La Giuditta de Scarlatti, cette dernière dans le cadre de la collaboration désormais bien établie avec l’Académie de l’Opéra National de Paris.
Les Arts Florissants depuis leur création en 1979 ont relativement peu interprété la musique du Cantor de Leipzig, se consacrant plus intensément entre autres à la musique française au sein d’une activité particulièrement débordante et toujours fructueuse. Paul Agnew, ténor et chef d’orchestre, devenu codirecteur musical de l’Ensemble depuis 2019, explore désormais avec assiduité les Cantates de Bach, notamment au Festival d’Ambronay. Pour cette version de la Passion selon Saint Jean, il cumule la partie vocale de l’Evangéliste -qu’il a régulièrement interprété au concert- tout en se chargeant de la direction de l’orchestre et des chœurs. C’est la première fois que Les Arts Florissants donnent la Passion sous cette forme avec un effectif réduit : 18 musiciens et des chœurs à trois ou quatre, auxquels peuvent se joindre les solistes. Il en résulte une sobriété réelle, une intimité poétique qui, loin de desservir la grandeur de l’œuvre, lui confère de nouvelles perspectives dramatiques.
Paul Agnew parvient, sans jamais tirer la couverture à lui bien au contraire, à incarner un Evangéliste promu chef d’orchestre dans une continuité musicale qui dès lors s’affirme naturelle, profondément ressentie et partagée envers tous les protagonistes présents. La voix demeure lumineuse, comme affermie par les ans. Chacune de ses interventions, sans pathos, sans accentuation inutile, va à l’essentiel et accompagne l’auditeur dans ce voyage marqué du sceau de la douloureuse Passion du Christ au travers de la vision de Saint Jean. Les solistes et les chœurs si importants ici, parlent d’une même langue sous la direction de Paul Agnew, celle de la sincérité expressive.
La basse Cyril Costanzo, presque fragile d’allure, donne grandeur et simplicité au rôle de Christ, au-delà d’un aigu un peu rétif. Remplaçant Renato Dolcini souffrant, le baryton-basse André Morsch confère à Pilate un relief imposant de sa voix aux larges contours et très affirmée. Le contre-ténor britannique à la carrière déjà longue Iestyn Davies enchante par sa musicalité et la ductilité de sa voix porteuse d’une juste émotion. Le ténor Nicholas Scott, spécialiste de la musique ancienne et baroque, complète avec talent et une pleine adéquation le plateau masculin.
La soprano écossaise Rachel Redmond, lauréate du Jardin des Voix de William Christie en 2011, enchante pour sa part lors de ses deux interventions principales. La voix s’élève avec aisance et un sens aigu des nuances et des ornementations. Elle apporte le rayon de soleil indispensable au sein d’un ouvrage sombre et puissamment religieux.
Paul Agnew annonce au sein du programme de salle que Les Arts Florissants vont bientôt entamer un « grand projet Bach », apportant ainsi une nouvelle pierre à l’édifice de leur vaste parcours musical. Cette Passion selon Saint Jean en constitue une première pierre sur laquelle bâtir cet édifice artistique.