Olga Peretyatko débute en 6 langues au Teatro Colón
Olga Peretyatko est, après la venue fin septembre / début octobre de la soprano coréenne Yun Jung Choi pour les quatre représentations de Theodora de Händel, la deuxième personnalité étrangère internationalement connue du monde lyrique à fouler les planches du Teatro Colón suite à la reprise des activités en mars dernier du légendaire Théâtre de Buenos Aires et à la réouverture en Argentine du transport aérien.
On Tour (de Babel)
Ce récital d’Olga Peretyatko est une étape qui suit la parution de l’album Songs for Maya, dédié à sa fille récemment mise au monde et qui comporte nombre de berceuses dans des langues très variées. Lors de son passage au Colón, où elle fait ses débuts, Olga Peretyatko chante dans pas moins de six langues : majoritairement en français et c’est notable, mais aussi en tchèque, italien, allemand, anglais et portugais. La soprano russe semble aussi à l’aise dans chacune de ces langues, sa voix trouvant à travers cette diversité expressive des accents propres à chacun de ces idiomes, facilités par une articulation optimale d’une grande plasticité, ouverte et détendue.
La langue française à l’honneur
Le chant d’Olga Peretyatko est caractérisé par une grande virtuosité au service de la musicalité. Son français est assez audible, projeté sans difficulté et sans erreur de diction concernant la chaîne consonantique, tandis que les voyelles restent globalement correctement prononcées, en dehors de quelques flottements sans conséquences malencontreuses. Les techniques sont éprouvées, certaines déconcertantes, et même vertigineuses d’inventivité, comme lorsqu'elle joue sur l’ondulation de la fréquence d’une note pour faire varier l’amplitude sinusoïdale de la vocalise dans « J’ai vu passer l’Hirondelle », tiré de la Villanelle d’Eva Dell’Acqua. L’air « Ah ! Je veux vivre dans le rêve », dans Roméo et Juliette de Gounod, est ainsi l’occasion de vocalises projetées avec vigueur et atteste d’une maîtrise technique assurée.
La versatilité est aussi l’une des signatures des moyens vocaux d’Olga Peretyatko. La soprano chante ainsi Offenbach avec beaucoup de plaisir apparent. Son prénom forme d'ailleurs, comme une curieuse prédestination, l’acronyme d’Olympia - Giulietta - Antonia, les héroïnes des Contes d’Hoffmann d’Offenbach qu'elle chante à tour de rôle, chacune dans leur air le plus célèbre. Elle devient ainsi une charmante Olympia, poupée mécanique sans originalité mais avec beaucoup d’agilité vocale, puis une Antonia déployant toute une grâce satinée, pleine de subtiles nuances puis liant enfin puissance et expressivité en Giulietta. La grâce et une sensibilité à fleur de peau s’échappent aussi en allemand de « Dors mon enfant » dont Wagner fait bien plus qu’une berceuse : elle anoblit le genre par l’ornement et le soin apporté au rendu de la pureté et de la douceur de la mélodie.
Multilinguisme musical
Le répertoire italien appelle le geste théâtral, l’élévation de la paume des mains semble porter le souffle de la chanteuse dans la « Casta diva » extraite de Norma. Les deux extraits d’œuvres de Rossini complètent ce retour à ses premières amours et l’art du bel canto. Les crescendo et decrescendo dans la cavatine de Sémiramide « Bel raggio lusinghier… Dolce pensiero » sont ainsi comme sculptés dans l’air. Sur « Una voce poco fa », tiré du Barbier de Séville, c’est l’ambitus de la voix qui est sollicité avec dextérité. La quête des cimes n’est donc pas la seule ambition vocale de la soirée, les médiums de la voix qui s’offrent aux spectateurs sont pleins, chaleureux et manifestent l’effet d’une mélancolie intime sur « Dobrú noc » (Bonne nuit), autre berceuse de Dvořák ou encore sur « Summertime » de Gershwin, tiré de Porgy and Bess. Le swing du piano emmené par Matthias Samuil devient alors un écrin approprié pour la voix. Intimité et mélancolie, ou plus exactement saudade (l’espoir se mêlant alors à la nostalgie), sont aussi présentes dans la lancinante mélodie d’Estrela (Étoile), du compositeur brésilien Altino Pimenta, offerte en bis : Olga Peretyatko, en jouant sur le saut d’octave entre les deux premiers couplets, fait basculer la chanson dans un lyrisme poignant. La germanité romantique de Der Sandmann de Schumann est enfin mise en exergue par le jeu du pianiste allemand Matthias Samuil et les couleurs saillantes que la soprano déploie avec justesse et précision.
L’accompagnateur de la cantatrice est lui aussi fort applaudi : son interprétation sereine et appliquée, en solo, de deux Nocturnes de Chopin, ponctue avec beaucoup de tact et de goût cette soirée et démontre le soin apporté aux volumes, à la précision et à l’onctuosité du toucher. Le duo de la soirée, en captivant son public, est longuement acclamé.