Renée Fleming et l'Orchestre de l'Elbe au TCE
Le public du Théâtre des Champs-Elysées accueille chaleureusement la soprano Renée Fleming, visiblement ravi d'avance et même intrigué à l'idée d'entendre les Poèmes pour Mi d’Olivier Messiaen (qu’elle a gravés au disque avec ce même chef et l'Orchestre Philharmonique de Radio France). Ces neuf poèmes écrits par le compositeur sont autant d'expressions profondes de sa foi et de son amour pour sa première femme, la violoniste et compositrice Claire Delbos, affectueusement surnommée Mi.
Dès les premières notes de l’Action de grâces, Renée Fleming fait entendre un texte au français parfaitement travaillé, très intelligible -malgré quelques légères trahisons d’un accent anglophone sur des voyelles comme "a" ou "é". Bien qu’elle suive du coin de l’œil sa partition, elle regarde souvent son auditoire sans ajouter de gestuelle si ce n’est quelques mouvements retenus pour accompagner le soutien de sa ligne vocale. Sa présence se fait donc sobre, proposant ainsi une lecture assez littérale, plus proche de l’expression de la foi que de l’amour. L'auditoire apprécie tout du long le timbre suave de ses graves poitrinés, ainsi que de lumineux aigus, dosés sans trop d’éclat pour garder une certaine homogénéité des couleurs suggérées par les phrasés du compositeur. Certaines nuances, accompagnées avec subtilité par l’orchestre, sont particulièrement admirées, sur « Comme l'Église est le prolongement du Christ », phrase finale de L’Épouse (entre autres exemples). L’engagement du poème Les deux Guerriers est aussi au rendez-vous. Toutefois, à de nombreuses reprises une plus grande puissance sonore de la voix aurait pu lui permettre de se démarquer davantage de l’orchestre (malgré les attentions de celui-ci). Sous la direction très attentive d’Alan Gilbert, garant de la précision rythmique et des propositions de couleurs, le NDR Elbphilharmonie offre des couleurs claires et contourées.
Le public se montre ravi d’avoir entendu l’une des stars du monde lyrique mais, malgré ses applaudissements enthousiastes et insistants, il n’aura pas le droit, ce soir, à un encore. Le concert se poursuit, en seconde partie, avec l’orchestre hambourgeois seul mais dans une œuvre qui manifeste également l’élan de la foi et du romantisme, dans des couleurs différentes mais non moins présentes : la Symphonie n°4 (surnommée "Romantique") d'Anton Bruckner. Animés d’élans et de souffles, les instrumentistes emportent immédiatement l’auditeur dans une interprétation pleine de reliefs et de subtilités. Alan Gilbert, dirigeant sans partition, montre qu’il fait confiance en son orchestre pour les détails, et leur insuffle l’âme qui doit faire vivre ses longs et puissants phrasés. Si l’élan des musiciens pourrait faire craindre un emballement lors des passages les plus alertes, ils restent sûrs et bien ensemble. En ce qui concerne les cordes, dont les mélodies sont parfois langoureuses et charmantes, leurs gestes ne sont pas exactement synchronisés, ce qui pourrait poser question quant à l'unité de la phalange, mais leur permet en fait aussi de manifester leur engagement individualisé à l’expressivité de l’ensemble. Le pupitre des altos est particulièrement chantant, simple et innocent mis à nu. Il est notamment rejoint par le cor, également à découvert, dont les interventions sont soignées. Les moments d’unissons entre le hautbois et la clarinette ne sont malheureusement pas des plus exacts pour l’oreille exigeante, mais celle-ci peut être impressionnée par les cuivres vrombissants, parfois furieux.
Si de nombreux spectateurs étaient venus essentiellement pour entendre l’étincelante Renée Fleming, ils se montrent également heureux d’avoir pu apprécier l'Orchestre philharmonique de l'Elbe, notamment grâce à la direction experte d'Alan Gilbert (nommé l'année dernière Directeur musical à l'Opéra Royal de Suède).