Les Fables de La Fontaine à Massy : miniatures lyriques pour petits et grands
C’est à l’occasion de l’édition 2021 du Festival d’Avignon que la Compagnie In-Sense crée ce spectacle pour petits et grands. Léna Rondé met en scène Les Fables de La Fontaine en quatorze petits tableaux, chacun portant sa morale et ses émotions. Sur scène, une mezzo-soprano et un baryton se donnent la réplique accompagnés par le piano, le violoncelle et la clarinette. Le mobilier, un ensemble de petits tiroirs et caissons en escalier, dévoile les différents accessoires et costumes des fables, rappelant les cabinets de curiosité qui étaient en vogue au XVIIe siècle. Le fromage du corbeau est un gros ballon blanc, la grenouille un ballon de baudruche qui s’envole pour se dégonfler, et le spectateur retrouve littéralement le pot de terre et le pot de fer. Les costumes de Madeleine Lhopitallier représentent les animaux joués par les chanteurs : le lion et le renard se parent d’un col en fourrure, le cerf retrouve ses bois, le loup se vêtit d’une veste grise. Si les chanteurs prennent le rôle des animaux, les musiciens se font la voix du fabuliste en déclamant la morale de l’histoire. Ces petites leçons de vie restent indéniablement intemporelles malgré les siècles qui nous séparent de leur écriture.
C’est cette intemporalité qu’Isabelle Aboulker a souhaité mettre en musique. La compositrice et petite-fille du compositeur Henri Février (1875-1957) écrit principalement pour les enfants et aime mettre en musique les textes qui trouvent en elle une résonance. Cette façon de composer se retrouve bien sur scène : la tonalité, les harmonies et les couleurs de sa musique reflètent habilement le ton du texte de La Fontaine. Lorsque le thème s’assombrit, le tempo ralentit et la tonalité est mineure. Lorsque le texte se fait plus joyeux, la tonalité devient majeure et le rythme se trouve plus saccadé, syncopé et rapide. Cette façon de composer (que la compositrice elle-même qualifie de néo-tonalité) se prête parfaitement à un jeune public toujours très réceptif au tissu musical, même sans toujours comprendre tout le sens du texte.
Pour interpréter la musique d’Aboulker, Marie Blanc et Philippe Scagni se font mimes, clowns et prédateurs : leur jeu d’acteurs captive les enfants qui voient une multitude d’objets en lien avec les histoires contées prendre vie. Chez les deux chanteurs, la diction est aussi impeccable que le texte est tranchant. Alternant parlé et chanté, ils transforment leur instrument au gré des personnages qu’ils incarnent : Philippe Scagni utilise une voix nasillarde lorsqu’il imite le canard raillant la tortue, plus profonde lorsqu’il devient le loup dévorant l’agneau. En narrateur, son timbre clair flatte ses mediums et ses aigus, mais il se pare d’un voile sur les notes les plus graves. La mezzo-soprano est virtuose sur la partition de la compositrice : les sauts de notes vertigineux n’entravent pas sa prestation même si quelques passages rapides perdent en précision. C’est sur les tempi les plus lents et le legato qu’elle dévoile un timbre large et un léger vibrato. La position de la bouche s’adapte tel un caméléon à la couleur unique de chaque animal, des graves en fond de gorge serrée à une projection très en avant, presque solaire.
Plus qu’accompagner, Ernestine Bluteau (piano), Marina Nguyen The (violoncelle) et Maité Atasay (clarinette) participent au spectacle et deviennent troisième acteur de la troupe. Le tissu musical est harmonieux, avec le piano presque toujours en couleur de fond par-dessus lequel la clarinette et le violoncelle échangent avec les voix.
Un enregistrement de la compositrice parlant de sa création sert de fil conducteur à la mise en scène : elle parle de son histoire avec les fables et de souvenirs avec son père. Il s’agit bien ici de partage et de transmission, à l’image du public venu en famille. Et quel plaisir de voir les petits s’émerveiller devant la mise en scène et les adultes retrouver ces fables qu’ils connaissent si bien. Le public chuchote même par moments les vers les plus célèbres, appris à l’école et partagés aujourd’hui avec leurs enfants.
Note de la rédaction : Philippe Scagni, interprète dans ce spectacle, rédige par ailleurs sur Ôlyrix des comptes-rendus de productions avec lesquelles il n'a pas de liens