Traviata à en pleurer à Massy
En clôture de sa saison lyrique (juste avant un Requiem du même compositeur en concert), l’Opéra de Massy présente l’un des ouvrages les plus populaires du répertoire : La Traviata de Verdi. La mise en scène d’Oriol Tomas (report de la période Covid) mise sur l’esthétisme et la direction d’acteurs, présentant le livret dans toute sa puissante simplicité. Les costumes signés Sébastien Dionné placent l’action dans les années 1900, lorsque les puissants du monde entier sont rassemblés dans une folle effervescence à Paris pour l’exposition universelle. Violetta y gère une maison close huppée où la jeunesse dorée et insouciante parisienne fait la fête. Le décor imaginé par Simon Guibault, dont l’habillage varie au gré des projections vidéos qui en changent l’aspect au fil des tableaux, reprend les codes de l’Art nouveau, avec ses courbes et ses inspirations animalières. Ainsi trône un podium aux allures de ruche, qui devient par la suite la piscine de la résidence des amants, une table de poker chez Flora, et un lit d’agonie pour l’ultime acte.
La production doit une partie de son succès à la finesse de l’interprétation scénique des chanteurs. L’humanité de Germont, ici père œuvrant au bien de ses enfants en dépit de la compassion qu’il éprouve pour Violetta, n’est pas pour rien dans l’émotion qui émerge du duo du premier tableau de l’acte II. Parti-pris moins courant, Violetta lui garde ici une rancune qu’elle exprime en citant son nom avec rage, à la fin de la lettre, au troisième acte : l’accolade, par laquelle elle lui accorde ensuite son pardon, n’en est que plus chargée de sens.
Robert Tuohy est placé à la tête de l’Orchestre de l’Opéra de Massy, qu’il dirige d’une gestique sobre, fine et sèche. La phalange varie les couleurs, les ambiances, des notes mélancoliques rappelant la maladie et la mort à venir, jusqu’aux rythmes sautillants des fêtes luxueuses. Le chef porte une grande attention aux solistes, définissant les nuances afin de valoriser leur chant, et suivant minutieusement leurs inflexions rythmiques. L’ensemble final de l’acte II est pris très lent, afin d’en rendre l’accelerando plus puissant encore. Le Chœur Unikanti impressionne par sa précision, les chuintantes sifflant ainsi en un son unique. Les timbres des différents pupitres sont bien détachés dans un son global puissant et charnu. Ces dames participent même aux chorégraphies réglées par Lucie Vigneault.
Erminie Blondel incarne le rôle-titre avec grâce et souplesse. Son jeu hors-chant reste investi et elle semble vivre au plus profond d’elle-même les joies et les douleurs de l’héroïne. Elle apporte un grand soin à ses phrasés et donne du sens à ses rubati (prises de libertés rythmiques) comme à ses vocalises par son jeu théâtral. Son timbre velouté s’élève en des aigus nourris et longs ou fins et ciselés, tandis qu’elle donne à ses graves la dureté d’une pierre tombale. Son vibrato, tout en rondeur, reste léger.
En Alfredo, Raffaele Abete garde yeux rivés sur le chef, ce qui limite le naturel de son jeu scénique. Il force sa couverture vocale, ce qui lui confère un timbre ensoleillé qui rayonne dans l’aigu. Mais cela réduit son émission et l’oblige à baisser le menton pour y attraper ses graves : les difficultés de la partition apparaissent finalement comme telles. Il n’en est pas moins investi et nuancé, ce qui le rend attachant, y compris dans son odieuse jalousie. Sa diction italienne est en outre d’une grande musicalité.
Simone del Savio est un Giorgio Germont sensible, d’abord sombre de voix et implacable de jeu, avant de s’adoucir devant la dignité de sa victime. Dans son duo avec Violetta, il parvient à se placer dans le sillon des nuances de sa partenaire, jusque dans des murmures suppliants, rendant cette scène touchante tant musicalement que théâtralement (le public, ému, laisse d’ailleurs le silence résonner quelques instants avant de l’applaudir).
Emma Parkinson apporte à Flora Bervoix un jeu raffiné et une voix ronde, chaude et lumineuse. Rémy Mathieu est un Gaston élégant, au ténor aussi brillant que sa veste et au legato appuyé et aristocratique. En Douphol, François Harismendy s’appuie sur une voix large aux beaux graves. Mais son vibrato imposant lui fait perdre la stabilité de sa ligne vocale dès le médium, comme son personnage perd son argent aux cartes et sa santé lors du duel. Tomislav Lavoie figure pleinement la dignité du Docteur Grenvil, dont la bonté transparaît dans la clarté de ses basses. Simona Caressa est une Annina théâtralement caressante et dévouée à sa maîtresse, ce qui contraste avec sa voix tranchante au phrasé percussif. Frédéric Goncalves présente un d’Obigny à la bonhomie lubrique, et à la voix flottante.
Aux saluts, le public rappelle les interprètes à de nombreuses reprises. Le chef, le metteur en scène et les deux interprètes masculins principaux sont chaleureusement applaudis, et c’est même une bruyante ovation que reçoit Erminie Blondel. La saison prochaine, l’Opéra de Massy poursuivra la trilogie populaire de Verdi avec Le Trouvère.