Soirée polonaise à la Maison de la Radio avec Krzysztof Urbanski
Si la Pologne doit notamment sa gloire musicale à la figure romantique de Frédéric Chopin, le XXe siècle fut également très fécond et prolifique. Gorecki, Penderecki, Lutoslawski et leur aîné Szymanowski se distinguent mondialement et font rayonner le savoir-faire musical de leur pays, bien au-delà des cercles restreints des mélomanes connaisseurs. Le Chœur et l'Orchestre Philharmonique de Radio France accueillent dans leur Maison de la Radio des solistes internationaux et un chef polonais pour défendre ce répertoire et un autre fil conducteur de ce programme et de cette tradition : son atmosphère musicale empreinte d'une teinte plaintive et douloureuse.
Telle est assurément l'empreinte du Stabat Mater de Karol Szymanowski dont le texte est traduit dans la langue de l'artiste. Trois solistes s'attaquent à cette partition complexe et polychrome dans son écriture harmonique, polyphonique et orchestrale. La soprano slovaque Simona Šaturová ouvre le chant en s'alignant avec la sonorité douce des instruments de la famille des bois. Cette délicatesse dissimule en effet la pesanteur du deuil qu'une mère, la Vierge Marie, éprouve pour son fils crucifié. Sa ligne svelte, voûtée et vibrée, transpose justement ces émotions de l'amour et de la douleur maternelles. Cependant, ses aigus sont assez fragiles, ce qui ne cesse d'empirer à mesure que la soirée approche de sa fin.
Le baryton tchèque Adam Plachetka dégage une sonorité robuste et énergique, bien projetée et équilibrée. Sa palette expressive permet aux auditeurs de percevoir pleinement une narration (tous les solistes figurent aussi en narrateurs) comblée de vulnérabilité. Sa voix se présente illuminée d'une fraîcheur juvénile et d'une prononciation persuasive, même si le vibrato excède parfois la mesure. L'alto allemande Katharina Magiera donne la priorité au texte avec une articulation fine et irréprochable des paroles, ainsi que de sa partie vocale. Son timbre penche plutôt vers le mezzo avec une luminosité claire-obscure, sans trop d'étoffe dans la pâte vocale. Les graves sont solidement appuyés, le volume dosé et l'intonation stable.
Le Chœur de Radio France soutient les solistes en peignant l'atmosphère sonore grâce aux accords et enlacements des chemins mélodiques que trace la partition. Vers la fin de l'œuvre, les choristes espacés dans la salle entonnent savamment des fragments qui évoquent de loin les chants russes orthodoxes. En guise d'apothéose, l'ensemble des chanteurs finit l'avant dernier mouvement en communion musicale solennelle et quelque peu tonitruante, mais néanmoins impressionnante.
La véritable star de ce concert est incontestablement l'Orchestre Philharmonique de Radio France. Dans le Thrène à la mémoire des victimes d'Hiroshima de Penderecki, les cordes transposent les agissements agonisants des âmes torturées et égarées, des sirènes et des bombes, des avions et des cris. Partition abondante en dissonances et clusters (grappes de notes), elle exploite à foison des suraigus et rend gloire à l'orchestre qui réussit le pari d'accorder ses instruments dans ce chaos sonore. Le chef Krzysztof Urbanski dirige les œuvres sans partition avec précision et tient assurément les rênes de ce riche et nombreux effectif qui collabore harmonieusement et sans failles. Dans le Concerto pour orchestre de Lutoslawski, tout l'orchestre devient soliste. La phalange aux proportions immenses, comprenant l'usage du piano et du célesta (rares dans l'orchestre), attaque vaillamment ce tissu sonore dense dans lequel les motifs thématiques se superposent et se mélangent, où se côtoient la virtuosité et l'expressivité mélodieuse, tendre et délicate. Le finale du Concerto (Toccata et Chorale) est furieusement rapide et les musiciens supérieurement cohérents et habiles pour répondre à ce défi hors norme.
Le public ovationne et rappelle les artistes plusieurs fois sur scène, manifestant son contentement longuement et bruyamment après le concert.