Mélodies et airs Verdiens méconnus à l’Opéra du Rhin
Puisqu’à l’Opéra National du Rhin la tendance est à la redécouverte du répertoire verdien, cette deuxième Heure lyrique de l’année (notre compte-rendu de la première) saisit l’occasion pour faire revivre des airs du compositeur trop rarement entendus et chantés, dans le cadre intimiste de la Salle Bastide. Extrêmement concentré, le programme esquisse l’évolution stylistique de Verdi, de ses années de jeunesse (et « de galère ») à celles qui marquent le sommet de sa renommée, partant des airs de son premier opéra, très peu donné, Oberto, Comte de Saint-Boniface, et d’I Masnadieri (Les Brigands) pour finir avec ceux de Falstaff, son dernier opéra. Cette Heure lyrique dévoile aussi un autre pan de l’œuvre verdienne : celui de la romance et de la mélodie écrites pour voix et piano, au travers du recueil intitulé Six Romances et de L’esule, composé sur un poème de Temistocle Solera, également librettiste de plusieurs opéras de Verdi (dont le premier).
Le baryton Oleg Volkov aborde avec finesse les contrastes dramatiques : si la ligne vocale manque d’abord de solidité et de justesse -et semble moins en forme qu’à la précédente Heure lyrique-, son jeu gagne peu à peu en audace et en expressivité. Ses sombres « lacrime » (larmes) portées par un vibrato arrondi sont saisissantes dans la Romance Non t’accostare all’urna. Son timbre enténébré glisse avec souplesse vers des aigus nets et lumineux. À sa projection vocale aisée et pleine, le baryton allie une prestance scénique affirmée, une posture droite et un regard plongé dans celui du public, qui, subjugué l’acclame avec ferveur.
La voix du ténor Damian Arnold peine à donner la pleine force expressive à son chant et de son jeu dans les extraits des Six Romances. D’abord légèrement enrouée, sa voix se pare néanmoins d’une large palette de timbres : des aigus voilés aux graves concentrés en passant par des montées larmoyantes dans les moments élégiaques. Ces variations sonores transparaissent sur les traits de son visage : le front plissé, les yeux mi-clos, puis grands ouverts dans l’air de Fenton, dans Falstaff, “Dal labbro il canto”. Beaucoup plus à l’aise dans l’incarnation d’un rôle, sa posture s’ouvre, sa diction se fait plus claire et ses aigus plus purs.
L’air lumineux et espiègle, la soprano Floriane Derthe dévoile un investissement scénique sans faille, malgré une posture légèrement tendue vers l’avant et un regard parfois insaisissable. Bien dessinés, ses mélismes s’envolent vers des aigus cristallins. Soigneusement vibrée, sa voix de tête demeure juste et nette, y compris lorsque les sons de klaxon du dehors viennent se mêler à l’ultime note tenue de l’air.
La mezzo-soprano Elsa Roux Chamoux interprète avec finesse et nuance les variations psychologiques dans l’air de Leonora. Avec puissance, sa voix gravit les différents registres et s’enflamme dans de solaires soupirs. Avec une diction très claire elle aborde L’esule, long et exigeant monologue, auquel elle confère un jeu contrasté au vibrato ciselé et aux sensibles decrescendi.
Au piano, Levi Gerke adopte un toucher perlé, empli de respirations en symbiose avec les chanteurs. Dans les passages à l’unisson, son jeu ferme et appuyé, sans être forcé, se fait l’écho subtil du cantabile vocal. Également pianiste, et cheffe de chant, Rosa Kim accompagne les chanteurs avec une grande précision rythmique et une concentration constante qui se lit dans les regards fréquents assignés aux artistes.
En bis, les artistes offrent une généreuse émulsion polyphonique avec le fameux quatuor “Bella figlia dell’amore” tiré de Rigoletto. Leurs voix, qui semblent encore plus fraîches qu’au début du concert s’enchevêtrent dans un jeu passionné et font éclater les bravi francs d’un public inlassablement ravi par Verdi.