Orlando Furioso accoste à La Seine Musicale malgré vents et marées
Le contre-ténor Max Emanuel Cenčić, après une rentrée festivalière baroque à Bayreuth (nos comptes-rendus) poursuit sa tournée européenne en accostant avec un vaisseau lyrique sur les rives de l'île Seguin, pour Orlando Furioso de Vivaldi dans le vaisseau musical et architectural de La Seine Musicale. Le "vaisseau lyrique" prend ici pour capitaine Max Emanuel Cenčić, pour équipage et insigne les "Parnassus Arts Productions" qui engagent l'ensemble de l'effectif musical (solistes et orchestre). Ce concert, qui est une session de rattrapage (il s'agit d'un événement reporté de l'année dernière en raison de la pandémie), est encore fouetté par les nombreuses contraintes de son destin infortuné. La soirée commence ainsi par une trentaine de minutes de retard du fait du malaise d'un spectateur, ainsi qu'avec l'annonce du désistement du contre-ténor Philipp Mathmann souffrant (entraînant de nouvelles coupes, franches). S'ajoutent quelques problèmes techniques avec l'écran de surtitrages pour assaisonner encore cette rencontre musicale.
Cependant, ces contretemps ne font aucun tort à la qualité de la prestation même. Orlando Furioso de Vivaldi se présente ici en version concertante, dans sa forme abrégée, dépouillée des récitatifs et de toute trame narrative. La succession des airs, pour la plupart exigeants vocalement, fait de cette soirée une revue des virtuoses, au grand bonheur des mélomanes présents.
Max Emanuel Cenčić personnifie le rôle-titre par cette notion d'acrobatie vocale, dans des vocalises fluides et rapides parcourant sa ligne du haut en bas, avec assurance. La partition de la vedette croate exploite à merveille son diapason médian et aigu, s'appuyant notamment sur sa technique solide et l'endurance du souffle. Dans l'air de la folie d'Orlando, il exprime la fougue vocale de son personnage et une grande présence scénique, en complète entente avec l'ensemble instrumental.
Sa compatriote Sonja Runje (mezzo) incarnant Alcina apparaît avec un instrument encore plus élastique, au point même qu'elle devance quelques fois l'orchestre dans les passages aux tempi impétueux. Sa voix nourrie et sonore, au timbre noirci, s'élance énergiquement dans les méandres des airs aux mélodies sinueuses, adossée sur des graves bien appuyés et charnus. La soprano belge Sophie Junker (Angelica) impressionne par la pureté de son intonation. Son appareil léger et clair-obscur arpente les mélismes et arpèges avec facilité et conviction, tout en préservant une prononciation éloquente et bien travaillée. L'expression est riche et le phrasé soigné, tandis que la ligne est colorée d'un vibrato finement dosé. La contralto Jess Dandy en Bradamante est confrontée aux alternances fréquentes et rapides entre les registres, passages difficiles à manœuvrer. Cela se traduit en difficultés à retrouver la stabilité du ton, qui parfois glisse vers les fréquences impures. Elle est dotée d'une voix agile certes, mais également svelte qui manque d'étoffe dans les graves.
Le contre-ténor Nicholas Tamagna aborde la partie de Ruggiero avec une tendresse et une émotion qui offrent un contraste marquant avec le reste de la distribution. Sa couleur est quelque peu plus foncée par rapport à sa tessiture, mais voûtée et chaleureuse. Il déploie toute sa musicalité dans deux airs, très expressifs et lyriques, en collaboration avec le flûtiste Zacharias Tarpagkos. Le baryton-basse russe Pavel Kudinov (Astolfo) commence en difficulté, avec des vocalises très peu flexibles au tout début du concert. Cet aspect de son chant s'améliore par la suite, avec une émission puissante, appuyée sur un appareil vocal étoffé et charnu (mais l'usage un peu excessif du vibrato relève d'un manque de maîtrise).
L'ensemble grec Armonia Atenea dirigé par Markellos Chryssicos ouvre le concert avec La Follia de Vivaldi qui se conclut dans la frénésie, faisant ainsi une juste introduction au sujet de l'opéra. Sa direction est précise et pointue, riche dans l'expression, qui offre une prestation hautement colorée et variée dans l'intensité.
L'ensemble des solistes (rejoints par Philipp Mathmann) forme un chœur qui clôture la soirée, moins harmonieux que leurs confrères instrumentistes mais apprécié par le public qui ne manque pas de récompenser les artistes avec de longs applaudissements à l'issue de concert.