Rachmaninov Nocturne aux Concerts d'Automne à Tours
Le concert, ou plutôt le rituel auquel le public est convié ce soir, articule avec les Vigiles nocturnes (Vêpres) et des extraits de la Liturgie de Saint Jean Chrysostome de Sergueï Rachmaninov, des hymnes tirés de la liturgie grecque orthodoxe byzantine.
Les Vêpres (composées en 1915), sont d’emblée interprétées avec leur sensibilité dans un sentiment de simplicité et d’évidence. Ce sentiment est renforcé par des couleurs de musiques populaires dans un raffinement d’exécution : celui de cette écriture dans la tradition musicale religieuse orthodoxe (russe et grecque). La ferveur est au rendez-vous : des pages lyriques aux contrastes dynamiques font leur très grand effet. L’aisance vocale est frappante dans ce programme a cappella (entièrement et uniquement vocal), essentiellement interprété par cœur et même dans un déploiement spatial en perpétuel mouvement.
Au centre de l’église est disposé un long praticable rectangulaire, assez élevé, autour duquel les chanteurs vont déambuler, se réunir, parfois s’en éloigner pour cheminer entre les spectateurs disposés en quatre ailes autour de ce dispositif. Parfois ils se réunissent dessus, parfois ils sont face au public, à ses côtés, ou devant, au centre. Ce parti pris immerge l’auditoire dans le son tout en dégageant les grains sonores. Les chanteurs sont essentiellement éclairés par la lampe accrochée à leur partition mais ils sont de plus nimbés dans les lumières de Marianne Pelcerf : redéployant une nef lumineuse, à l’échelle humaine et accompagnant les artistes (avec de beaux cercles métalliques, disposés autour du public et reflétant plus ou moins la lumière d’une lampe à moitié obturée).
Ce cheminement liturgique, lumineux et musical passe ainsi de la lumière à l’obscurité, pour revenir à la lumière. Cette dimension liturgique est amplifiée par l’interpolation dans le déroulé des Vêpres, des hymnes chantés par Adrian Sirbu, chantre byzantin, qui mène alors le rituel, seul, ou lançant le chant auquel le chœur répond, ou psalmodiant son texte cependant que le chœur produit un tapis sonore pour le soutenir (tout en déambulant souvent dans une sorte de procession lente et imperturbable). Adrian Sirbu ne recherche pas l’effet vocal mais délivre un chant très mélismatique, souvent dans la zone de passage de la voix de ténor, avec alors un timbre lumineux. Il est manifestement dans une posture de prière sonore, tant l’intensité expressive est au rendez-vous. Le chœur s’adapte avec humilité et efficacité, non seulement à cette écriture, plutôt statique et contemplative, mais aussi au tempérament subtil qui sous-tend cette musique.
L’ensemble est constitué de choristes-solistes qui ont une pleine maîtrise vocale et musicale. Les déplacements, musicaux, épousent le tempo jusqu’à sembler naturels et évidents. Le chœur ainsi constitué délivre un son tonique, dynamique, allant de la pureté absolue des pianissimi au flamboiement de fortissimi stupéfiants. Si l’écriture est essentiellement polyphonique, quelques petites interventions solistes se signalent tout de même, avec Mathilde Gatouillat, contralto étonnante, à la voix chaude et envoûtante (parfois même dans des sons proches de la voix de ténor, en voix mixte appuyée). Elle exécute le troisième temps des Vêpres (“Bénis le Seigneur, ô mon âme”, dans un mode grec) en "flottant" sur le chœur et en traversant la nef de l’église. Avec sa voix généreuse et solaire, Édouard Monjanel irradie pour sa part, du haut du buffet d’orgue, le chœur qui lui répond d’en bas.
Simon-Pierre Bestion, chef de cet ensemble et concepteur de ce programme, questionne ainsi comme à son habitude les œuvres, les délivre sous des angles inattendus et surprenants d’expressivité. L’art et ses artistes mènent à travers ce précieux périple, tout au long de ce rituel, générateur de son et d’esprit, dans une véritable liturgie du son qui enflamme l’auditoire.