Fin de cycle des symphonies de Beethoven par Jordi Savall
Avec son orchestre Le Concert des Nations et le Chœur El León de Oro, le chef invite à redécouvrir ces œuvres si connues, sous un angle qui se veut plus authentique, plus proche de l’interprétation originale. Jordi Savall est connu et même reconnu pour sa quête d’une interprétation historiquement informée. Son travail pour retrouver le juste geste sur instruments d’époque, particulièrement du baroque, lui a valu une reconnaissance mondiale. Avec son assistant Luca Guglielmi, le chef catalan s’est lancé dans une nouvelle aventure en s’attaquant aux célèbres Symphonies de Ludwig van Beethoven, désireux de « récupérer le son original et l’organique de l’orchestre tels que Beethoven les a imaginés ». Le chantier est minutieux, se fondant sur les sources anciennes pour proposer un effectif orchestral précis avec les instruments d’époque et le diapason en vigueur (430 Hz) tout en suivant rigoureusement les tempi exigés par le compositeur. Les versions de ces symphonies, et particulièrement la 9ème, sont certes nombreuses et manifestent des traditions d’interprétations qui sont sans doute anachroniques, comme le constate Jordi Savall. Mais si ce travail historiquement informé est fréquent pour la musique baroque, voire post-baroque, il l’est moins -en tous cas de cette manière- pour la musique préromantique. Jordi Savall propose donc au public d’aujourd’hui de vivre « cette perpétuelle aventure d’une libre confrontation », pour reprendre la citation qu'il emprunte à André Boucourechliev dans le livret de son enregistrement des cinq premières symphonies.
Le public est venu nombreux et curieux pour assister à ce dernier concert du cycle. Dès la Symphonie n°8, il est frappé par les accents de l’orchestre qui revêtent une couleur toute particulière, notamment par les timbales sonores et assez sèches ainsi que les basses au grain très présent. L'attention très particulière aux rythmes pointés (croche pointée écourtée, double très en place avant une noire ou blanche appuyée) est certes très révélatrice du travail de précision de l’orchestre mais aussi d’un geste qui appartient décidément à un autre temps. Sous la direction droite, stable et attentive de Jordi Savall, les 35 musiciens -issus du Concert des Nations complétés par de jeunes talentueux instrumentistes venant du monde entier- font preuve d’une précision remarquée, offrant des phrasés contrastés et énergiques sans toutefois faire preuve de brutalité. Les dynamiques sont toujours conduites avec conscience et maîtrise. Le timbre des cuivres, particulièrement des trompettes et des cors naturels, apporte assurément une couleur assez nouvellement ancienne, qui peut souvent déstabiliser. La difficulté inhérente à ces instruments d’époque n’épargne pas quelques canards, qui savent toutefois se faire relativement discrets.
Malgré ces qualités, la redécouverte profonde de la Symphonie n°8 puis, après un entracte qui dure autant que la première partie, l’interprétation de la Symphonie n°9, offre l'intérêt de la démarche artistique mais ne déploie pas les masses sonores et d'émotions associées à ce répertoire unique. La justesse et le timbre particuliers des instruments outrepassent parfois leur identité sonore pour verser dans des effets peu plaisants, même si les intentions des cordes et des bois savent toutefois séduire. Le tempo choisi n’est pas exagérément lent mais amoindrit le souffle de l'émotion, rendant certes d'autant plus sensible l’exposition du thème de l’Hymne à la Joie.
Le chanteur baryton Manuel Walser fait entendre son "O Freunde" d'un timbre assez lumineux, agrémenté d’une rondeur bienvenue notamment dans les graves et offrant un texte bien intelligible. Il est rejoint en duo par le ténor Mingjie Lei, au timbre brillant mais qui perd étonnamment de sa présence vocale lors de son intervention en solo (comme écrasé par la marche, pourtant relativement légère, de l’orchestre). La voix de la soprano Sara Gouzy est très fine et claire mais semble comme fatiguée lors des dernières pages, entraînant une perte de justesse dans ses aigus. La mezzo-soprano Laila Salome Fischer a certainement la partie soliste la plus difficile, noyée dans les parties en quatuor, notamment par sa tessiture. Elle aurait toutefois pu se montrer plus présente pour faire entendre la tendresse de sa voix, seulement soupçonnée en tendant l’oreille.
Les 36 artistes du Chœur El León de Oro sont espacés les uns des autres mais ne perdent néanmoins par en homogénéité, gagnant au contraire une clarté de son. Entourant l’orchestre, le chœur gagne également un effet de masse au risque même de couvrir l’orchestre. Le texte n'est pourtant pas très compréhensible, bien que les phrasés soient vivants.
#ChriSoirée 10 à la @philharmonie pour la fin du cycle Beethoven par Savall et Le Concert des Nations. Charmée par le dernier mouvement de la 9e : pupitres bien départagés, clarté et un délicieux sentiment de paix. pic.twitter.com/nVDDP3187W
— Christelle (@Christellerie) 16 octobre 2021
La cadence prestissimo victorieuse finale de l'ensemble alerte et vif arrache des bravi du public mais aussi de nombreux questionnements quant au résultat de la démarche. Jordi Savall a le mérite de proposer une version informée, musicologiquement, organologiquement et historiquement : offrant ainsi l’opportunité de réfléchir et de débattre sur ce qu’est un chef-d’œuvre, ce qu'il était et comment il traverse les époques. Beethoven ne fut pas (suffisamment) compris de ses contemporains, à l'inverse de notre époque où il est universellement admiré comme un génie : justifiant pleinement ce projet de montrer aussi comment pouvait sonner le Beethoven d'hier, aujourd'hui, avec le travail approfondi proposé dans ce concert, mais avec en outre le souffle de l'émotion et une narration musicale manquant encore.
Beethoven et Savall, cest définitivement NON ! @philharmonie La 8e en pilote automatique, comme la semaine dernière, et la 9e pareil + nbx problèmes de justesse. pic.twitter.com/OIywNhuBjY
— Guillaume Giraudon (@Guiguiii94) 15 octobre 2021