Récital d’Angela Gheorghiu en ouverture de saison à l'Opéra de Monte-Carlo
Sous les décors chargés mais somptueux de la salle Garnier à Monte-Carlo, le public venu nombreux accueille déjà chaleureusement la soprano roumaine Angela Gheorghiu. Celle-ci lui propose un programme très éclectique, allant des airs du bel canto italiens aux airs français romantiques, en passant par des chansons roumaines, allemandes et même du baroque-classique avec Rameau et Giuseppe Giordani. En somme, une macédoine musicale qui peut dérouter quant à sa cohérence et la mise en valeur du répertoire adéquat pour la chanteuse. Le résultat en ressort effectivement assez inégal en termes de qualités vocale et musicale.
Le programme débute par un air assez connu, Caro mio ben de Giuseppe Giordani, qu’Angela Gheorghiu chante néanmoins avec partition et avec un souffle étonnamment court pour soutenir ses phrasés, semblant déjà fatiguée par son large vibrato. Mais heureusement, petit à petit grâce à des airs de Paisiello, de Bellini ou de Donizetti, la voix prend de l’assurance, puisant dans les registres graves, agréablement chaleureux, et des médiums joliment suaves. La matière retrouve ainsi un timbre homogène. C’est surtout sa présence scénique, qui n’a rien perdu de son aisance et même de sa magnificence, qui lui donne sa prestance. Elle joue avec une pointe de séduction avec les larges manches tombantes de sa robe, d’un blanc éclatant lors de la première partie puis d’un rouge passionné pour la seconde.
En interprétant des airs de Paolo Tosti et d'Ottorino Respighi, Angela Gheorghiu fait preuve de très fines intentions de nuances, agrémentées d’une tendre gestuelle. Certaines longues phrases nécessitent cependant une attention toute particulière de la part de la chanteuse, comme marchant sur des œufs pour ne pas manquer de souffle, ce à quoi elle parvient grâce à sa maîtrise et à son expérience. Son engagement musical est également très apprécié lors de l’interprétation de Zueignung (Dévotion) de Richard Strauss. La diva termine la première partie de la soirée avec l’une des Douze romances de Rachmaninov, Vesenniye vody, ponctuée d’une habituelle longue note aiguë dramatique comme les aime le public.
La seconde partie fait d’abord entendre Le Grillon de Jean-Philippe Rameau. Certes, le texte est bien compréhensible mais rarement œuvre classique aura été chantée avec un timbre si riche, un vibrato si ample et un phrasé si généreux. Une proposition interprétative qui trouve déjà plus de sens avec Plaisir d’amour de Jean-Paul-Égide Martini, à cause de son expressivité touchante, bien que toujours anachronique. La soprano aime indéniablement chanter, prenant sans remord le temps de s’épancher avec aisance, voire parfois exagération, sur certaines phrases de l’Élégie de Massenet, testant la vigilance imperturbable de son accompagnateur. Son aigu final, toujours triomphal comme seule une diva sait en offrir à son public, finit de le séduire. Elle séduit également avec les trois airs roumains de Tiberiu Brediceanu, dans lesquels elle se montre joueuse, voire espiègle, et aussi touchante. Angela Gheorghiu termine son programme avec autant de prestance scénique, partageant davantage de beauté dans la voix, en favorisant le moelleux de ses graves et la brillance de ses médiums-aigus au détriment des rythmes, comme celui de la valse Je te veux d'Erik Satie.
Pour ce récital, la chanteuse est accompagnée du pianiste américain Jeff Cohen, extrêmement attentif aux moindres propositions de la chanteuse. Il propose également quelques œuvres en solo, comme des respirations instrumentales, dans lesquelles il démontre une technique assez irréprochable, un toucher toujours très propre, mais un sérieux qui ne s’emballe pas. Les Six variations de Beethoven sur "Nel cor più non mi sento » (de l'opéra La Molinara composé par Paisiello) et le Liebeslied (Widmung - dévouement) de Schumann transcrit pour piano par Liszt sont interprétés sans passion. La "Méditation" extraite de La Mort de Thaïs de Massenet transcrite par Saint-Saëns manque entièrement de souffle et de souplesse dans les phrasés. Néanmoins, de vives couleurs sont proposées dans les Six danses populaires roumaines de Bartók, même s’il y manque un peu de spontanéité, voire d’audace.
Ravie d’être si proche de son public et de sa gratitude, Angela Gheorghiu offre en bis le célèbre "O mio babbino caro" extrait du Gianni Schicchi de Giacomo Puccini. Libérée de la partition, occupant la scène comme dans un opéra, Angela Gheorghiu captive, émeut. Le public émerveillé fait alors pleuvoir des applaudissements qui encouragent la chanteuse à ne pas quitter la scène. Suivent encore quelques bis dont le Because you came to me de Gene Pitney et un air traditionnel roumain a cappella. Le public conquis se lève pour saluer la chanteuse qui semble ne plus vouloir le quitter, embarrassée de bouquets de fleurs mais prenant le temps d’aller d’un bout à l’autre de la scène pour jeter des baisers.