Pauline Viardot justement célébrée à l’Opéra Comique
Pauline Viardot (1821-1910), fille du légendaire Manuel Garcia et sœur de Maria Malibran, a traversé le XIXe siècle avec un éclat tout particulier. Cantatrice adulée dans toute l’Europe, célèbre pour son interprétation de l’Orphée de Gluck ou de Fidès du Prophète de Meyerbeer, compositrice, professeure de chant, elle a animé dans ses différentes demeures -dont au sein de sa villa de Bougival dominée par la datcha d’Ivan Tourgueniev, son ami de cœur-, un salon littéraire et musical particulièrement brillant. Amie proche de Georges Sand notamment -autre femme libre, leur correspondance est un régal-, Pauline Viardot parlait six langues et composait ses mélodies sur des poèmes de fait très variés. Elle fut formée à l’écriture musicale par le compositeur Antoine Reicha, sans pousser toutefois jusqu’à l’étude de l’orchestration.
Jorge Chaminé, Président fondateur du Centre Européen de Musique, passionné par l’itinéraire artistique et personnel de Pauline Viardot, est l’animateur de cette journée divisée en trois étapes complémentaires. Un colloque intitulé Pauline Viardot, la compositrice réunit le matin autour d’Agnès Terrier (dramaturge de l’Opéra Comique), quatre musicologues et chercheurs travaillant actuellement sur cette artiste. Florence Launay, spécialiste des compositrices françaises, évoque en détail les recherches et publications intervenues depuis le décès de Pauline Viardot, sachant que le chantier reste ouvert avec de nombreux inédits composés restant à publier et que des découvertes nouvelles -notamment au sein du fonds conservé par le chef d’orchestre Richard Bonynge qui comporte des mélodies encore inconnues en langue anglaise- interviennent régulièrement. L’héritage musical de la compositrice porte principalement sur des mélodies et des Lieder, de charmantes opérettes, mais révèle aussi des pièces pour violon ou piano par exemple, comme le concert du soir permet de le découvrir. Depuis l’Université de Calgary au Canada, Nicholas Zekulin, spécialiste d’Ivan Tourgueniev, démontre l’importance du salon musical de Pauline Viardot en son époque. Puis Amy Damron Kyle, doctorante à l’Université de la Sorbonne, évoque trois opérettes de la compositrice, Le dernier sorcier, La Partie de Whist et bien entendu, Cendrillon, ouvrage encore porté à la scène. Pour conclure, Rosalba Agresta, attachée à la Bibliothèque Nationale de France, présente les partitions conservées au sein de cette institution, dont celle originale du Don Giovanni de Mozart léguée par la cantatrice, admiratrice éperdue du compositeur viennois. Elle souligne par ailleurs sa participation active à la réduction pour piano des Troyens d’Hector Berlioz, notamment pour la Chasse Royale, ce qui en dit assez long sur les capacités musicales de Pauline Viardot.
Dame Felicity Lott, qui interprète en récital des mélodies de la compositrice, offre en début d’après-midi une Classe de Maître destinée à huit jeunes cantatrices en formation ou en début de carrière comme Axelle Fanyo applaudie il y a quelques jours à l’Auditorium du Musée d’Orsay et bientôt à Compiègne avec Le Baron de Münchhausen. Les aspects plus strictement techniques apparaissant globalement maîtrisés, Felicity Lott, toujours enthousiaste et souriante tout au long de la séance de travail, s’attarde plus particulièrement sur l’interprétation et l’approche esthétique des mélodies de Pauline Viardot ici interprétées : variation des couleurs, du liant et des contrastes au sein d’une même mélodie, soin apporté à la compréhension du poème et à la langue utilisée, particulièrement diversifiée chez l’européenne Pauline Viardot, du français à l’allemand et au russe, au legato, aux nasales quelquefois trop insistantes. Cette approche chaleureuse et pleine de compréhension a certainement éclairé le chemin vocal poursuivi par les jeunes participantes : Amandine Ammirati, soprano membre du Studio de l’Opéra National de Lyon, Camille Chopin soprano colorature du Conservatoire National Supérieur de Paris, Clarisse Dalles soprano qui se perfectionne notamment au sein de l’Académie de Philippe Jaroussky, Helena Ressurreiçao mezzo-soprano espagnole, Axelle Fanyo soprano déjà nommée, Morgane Kypriotti soprano, Cyrielle Ndjiki Nya passée par le CNSMD de Paris et par l’Académie Jaroussky, Dania El-Zein soprano à la carrière déjà bien engagée. Toutes ces artistes ont suivi une formation musicale complète de haute qualité. Au piano de cette master-class, l’engagement et le travail d’accompagnement est effectué par la talentueuse Lucie Sansen.
Un concert en soirée permet de découvrir plus avant la musique de Pauline Viardot dans sa diversité : pièces pour violon et piano, pièces pour piano seul Sérénade et Variations Arméniennes interprétées par Nathanaël Gouin, Sonate pour violon et piano en la mineur avec également Renaud Capuçon et Nathanaël Gouin qui retrouve ensuite au piano Michel Dalberto pour des morceaux à quatre mains, Introduction et Polonaise, puis Défilé Bohémien.
Dame Felicity Lott a tenu à ouvrir la soirée avec la mélodie Hai Luli de Pauline Viardot, en précisant qu’elle n’était pas apparue sur une scène depuis février de l’an dernier, à Paris déjà : elle semble fort émue. Si la voix ne possède plus la plénitude d’antan, l’interprète séduit toujours autant par sa sincérité et la fraîcheur de son approche. Natalia Labourdette, soprano, et Helena Ressurreiçao, mezzo-soprano, avec au piano Francisco Soriano, se lancent elles aussi, en duo et avec force dans trois mélodies trépidantes de la compositrice : Seguedille des petits officiers, Fandango du diable, Duo à la Hongroise. Marine Fribourg, mezzo-soprano, avec l’appui de Flore Merlin au piano, s’attache à des mélodies d’inspiration espagnoles, pays d’origine de Pauline Viardot : Nixe Binsefuss, Caña española, Evocation, dont elle traduit le sentiment. Puis Léa Sarfati accompagnée de Christine Fonlupt au piano, interprète avec conviction quatre autres mélodies : Bonjour mon cœur, à l’inspiration délicate, Cancion de la Infanta, Vieux mari, dur aigri et Hai Luli, certainement la mélodie la plus connue. Pour conclure la soirée, Marie Kalinine choisit la fort belle mélodie Fleur desséchée sur un texte de Pouchkine, Léa Sarfati la rejoignant par le savoureux duo plein d’allant Les Bohémiennes.
Au bilan, une journée riche d’enseignement et un bel hommage à une personnalité fascinante, Pauline Viardot. Pour autant, il paraît difficile de définir parfaitement le style de musique de la compositrice qui, en dehors des influences de son temps, faisait preuve d’une curiosité insatiable et faisait fi des frontières. Il est à noter que les travaux de réhabilitation de sa villa de Bougival se poursuivent dans le cadre du loto du patrimoine, dans la perspective de l’ouverture en 2024 du Centre Européen de Musique.