Quand Bayreuth résonne encore à Paris
Ces échos et ces résonances sont tonitruants, tant le son de l'Orchestre de Paris est intense et puissant, à l'image de celui proposé par les musiciens de Bayreuth le mois dernier en ouverture de saison lyrique en cette même Philharmonie de Paris. Dès la première note de l'Ouverture des Maîtres chanteurs qui ouvre le programme, le volume et l'intensité sonore emplissent toute cette nef acoustique. Le grandiose de l'amplitude presque pompeuse des accords rappelle tout ce que le romantisme doit au classicisme et même au baroque dans l'éclatant dialogue entre trombones et timbales. Mais il le rappelle dans une intensité constante, celle des archets toujours puissamment appuyés sur les cordes dans l'immensité d'un son romantique entre tous (certes annoncé avant même l'arrivée des musiciens par la présence au plateau de six harpes et huit contrebasses). Cet exercice d'intense endurance pour les musiciens mais aussi l'auditoire séduit les mélomanes aimant leur Wagner corsé et serré, mais inquiète pour la suite du programme.
Ces inquiétudes sont heureusement levées par Wagner lui-même (par la nature de ses partitions suivantes) et par le lyrisme des solistes engagés (qui ne seront pas couverts). La suite du programme montre ainsi rétrospectivement que l'intensité orchestrale a pu monter en connaissance de causes : sachant que les soupirs entre les accords de Tristan laisseront le temps à ces accords de résonner, sachant que ce Prélude de Tristan et Mort d'Isolde (dans la version sans voix) devra forcément redescendre par le decrescendo des violoncelles jusqu'au pizzicato au seuil de l'audible des contrebasses, sachant aussi que même en remontant toujours plus vers l'intensité sonore, cette partition trouve encore et toujours de nouveaux sommets expressifs.
Sachant enfin qu'après l'entracte et ces deux morceaux, la seconde partie du concert (l'acte I de La Walkyrie) est portée par de grandes voix Wagnériennes. Stuart Skelton en impose et s'impose immédiatement en Siegmund, littéralement en une seule et courte phrase qu'il projette en se levant avec prestance, pour s'asseoir de suite et de même. Quoiqu'en tenue et en version de concert, il incarne pleinement le personnage, du jeu et de la voix, se détournant de Sieglinde donc se tournant vers Hunding, ou se retournant vers elle (avec toutes les nuances intermédiaires : face public ou regards en biais vers les autres interprètes). Les nuances sont bien entendu également celles de son chant, avec la même intensité que celle déployée par l'Orchestre. Le médium est musclé mais la fermeté sait plonger dans la douceur avec même des aigus presqu'en voix mixte (montant vers la voix de tête) et des graves rauques. Son aigu lyrique est toutefois à la peine ce soir, serré et raccourci, mais il accomplit les deux fameux tours de force de cette partition : les deux Wälse tenus dans une démonstration d'endurance, tout comme le Wälsungen final (de cet acte et de ce concert), si longs que ses échos en sont les acclamations aussi sonores d'un public conquis.
Mika Kares lui aussi incarne son rôle dès le début de ce premier acte (alors qu'il n'intervient pas si tôt). Assis, il est plongé dans une volontaire torpeur nostalgique durant la rencontre de Siegmund et Sieglinde, pour y replonger dans leur grand duo final. Sa levée au son des cuivres ne s'en fait que plus menaçante. Et si ses premiers sons sont trop empreints de cet esprit car vrombissants, l'articulation se sculpte bientôt et le timbre vient alors servir l'impact vocal. Les graves profonds ne sont que caressés mais le médium n'est que caresses (très fermes toutefois, là encore à l'unisson de l'Orchestre).
Le ténor Stuart Skelton se trouve ainsi, physiquement et vocalement au centre de deux duos : le duo-duel de son énergique timbre avec la grande morgue de la basse, et le duo amoureux avec Sieglinde qui, pour sa part, complète le trio vocal avec d'autres moyens (plus mesurés en volume mais d'une autre matière). Jennifer Holloway traduit en effet l'inquiétude et la passion explosive du personnage sans diminuer la certitude de sa ligne vocale, aux fines résonances étincelant sur un timbre rond.
Les trois solistes savent même rompre le systématisme de la version concert, consistant à se lever et s'asseoir pour leurs interventions : ils restent parfois debout sans chanter pour maintenir l'intense interaction et restent parfois assis pour chanter en représentant ainsi un conciliabule méfiant ou une soirée d'amour. À l'image de l'amour pour cette musique et cette interprétation qu'exprime puissamment le public aux saluts.