La Vierge, divin mystère musical de Massenet à Saint-Etienne
L’Opéra de Saint-Etienne lance sa saison lyrique avec La Vierge, un oratorio (sans mise en scène, donc) de Jules Massenet, compositeur originaire de la ville. L’œuvre s’attache à quatre moments-clés de la vie de Marie, en s’attardant sur les sentiments de la mère de Jésus : sa foi, ses craintes et son abandon lors de l’Annonciation, le déchirement maternel à l’idée que son fils s’éloigne d’elle après son premier miracle lors des Noces de Cana, sa douleur face à la passion du Christ lors du Vendredi saint, puis son extase et son apaisement lors de son assomption. Dans cette œuvre de jeunesse (à 36 ans, il n’a encore composé aucun de ses grands opéras), Massenet enchaine les ambiances musicales avec une grande sûreté dans l’écriture. Si le livret tient en quelques lignes, chaque phrase étant répétée et modulée dans la logique des oratorios baroques, l’œuvre (relativement courte) trouve sa dramaturgie et sa variété dans la partition. Aux pages tendres et caressantes (avec le chœur des anges introduisant un ravissant duo entre Marie et l’archange Gabriel) de la première scène succède un chœur à boire, une pièce instrumentale exotique et un air très intime dans la suivante. Les sanglots longs des violons (introduits d’un sombre roulement de timbales), la puissance des tutti déployés ou le délicat quatuor a cappella accompagnant la mort de Jésus dans la scène 3 tranchent à leur tour avec les lignes éthérées de la montée au ciel de la Vierge.
Cette célébration du génie de Massenet est présidée par la cheffe Alexandra Cravero, très impliquée ces dernières années dans le répertoire jeune public. Son enthousiasme communicatif, son amour manifeste pour cette partition qu’elle chante en playback pour mieux épouser les lignes des interprètes, son sourire et son incarnation dansante de la musique trahissant son plaisir à servir cette œuvre trop méconnue la placent légitimement en guide charismatique de cette soirée et au centre des discussions des spectateurs à la sortie. Sa battue, douce, claire et esthétique, lui permet d’obtenir de l’Orchestre Symphonique Saint-Étienne Loire une interprétation tout en nuance, intégrant le silence à sa musique pour accompagner la spiritualité des passages méditatifs.
La Maîtrise de la Loire intervient depuis la salle, voyageant d’un balcon à l’autre. Très justes, les enfants offrent des passages angéliques pour lesquels seules les imprécisions des attaques sont à regretter. Leurs aînés du Chœur Lyrique Saint-Étienne Loire, placés derrière l’orchestre, tissent des lignes dynamiques et une belle cohésion. Mais le son manque d’éclat malgré l'absence de masques, notamment chez les pupitres féminins dont le retrait génère un déséquilibre avec les pupitres masculins.
Marie pleine de grâces, Catherine Hunold s’appuie sur une voix opulente au timbre sucré et au vibrato intense. Son phrasé langoureux nourrit une diction très précise (comme le reste de la distribution, au demeurant) de ses graves de braise à des aigus fermes. La voix d’Irina Kyshliaruk en Archange Gabriel se fond dans celle de sa collègue dans un duo céleste. Ses lignes vives et râblées s’élancent dans des aigus bien projetés au timbre nourri.
Marc Scoffoni intervient en Hôte des Noces de Cana, en Simon puis en Thomas d’une voix vigoureusement projetée et lumineuse, atteignant des graves aux harmoniques chaleureuses, mais faiblissant dans des aigus moins assis. Lucie Roche en Jeune Galiléenne, Marie-Madeleine et Archange déploie un médium chaud et sombre, des aigus colorés et vibrants, les passages de registres manquant toutefois de liant. Christophe Berry (Jean) laisse entendre un ténor éclatant ressortant des tutti, qu’il altère pour incarner la douleur de son personnage face à la crucifixion du Christ. A pleine voix, son vibrato très présent offre un appui pour une projection énergique, mais il tend à distendre sa ligne en-deçà du mezzo-forte. Amélie Robins intervient essentiellement dans des ensembles en Marie-Salomé et en Archange, mais elle fait entendre une voix acidulée et sémillante au vibrato rond et vif.
A défaut d’une musique sacrée, Massenet délivre une sacrée musique qui charme le public : les interprètes sont longuement applaudis par une salle laissant hélas de nombreux sièges vides en cette rentrée musicale.
Œuvre intégrale :