Partenope de Haendel par Le Jardin des Voix à la Cité de la Musique
Si la complexité de l’intrigue de cet opéra composé par Haendel a pu rebuter ses premiers auditeurs, le génie n’y est néanmoins pas avare d’airs particulièrement virtuoses et expressifs. À l’instar des grandes voix de cette époque, cette œuvre est ce soir, en la salle des concerts de la Cité de la Musique, l’occasion d’entendre les voix d’avenir sélectionnées par William Christie et Paul Agnew, dans le cadre de l’Académie des Arts Florissants, le Jardin des Voix. Outre la beauté évidente des timbres que le public peut apprécier, c’est la personnalité musicale même des jeunes artistes qu’il peut juger. Cela notamment par leur engagement scénique grâce à la simple mais efficace mise en espace de Sophie Daneman, assistée de Jean-Luc Taillefert pour la scénographie et les costumes, Rita de Letteriis pour la dramaturgie et Christophe Garcia pour la chorégraphie. La scène se limite donc à quelques praticables et accessoires, comme ces dés géants pour illustrer les batailles, permettant aux chanteurs de s’exprimer d’abord par leur propre présence scénique.
Dans le rôle-titre, la soprano portugaise Ana Vieira Leite n’est pas forcément aidée par l’acoustique de la salle, sans doute un peu trop grande et non adaptée à ce répertoire baroque, qu’elle n’arrive pas toujours à remplir de sa voix néanmoins touchante, fine et nuancée. Ses vocalises sont soignées et elle réussit, par son attention (notamment envers une éventuelle fatigue), à déployer ses aigus.
L’œuvre de Haendel pourrait aussi s’intituler Arsace tant ce protagoniste a d’airs, et des plus vaillants, composés sur mesure pour le castrat star Senesino. Ce superbe rôle est confié au contre-ténor britannique Hugh Cutting, à son timbre solaire constamment homogène, à ses phrasés souples et expressifs, toujours pertinents, tantôt furibond, tantôt tendre, justifiant ses vocalises.
L’intrigue du livret, signé Silvio Stampiglia, jouant sur le travestissement et l’ambiguïté sexuelle, le rival est également ancienne et future amante d’Arsace, Rosmira -alias Eurimene. Elle est incarnée par la mezzo-soprano britannique Helen Charlston. S'il est dommage que certaines de ses intentions piano soient si fines qu’elles en deviennent inaudibles, elle ne manque néanmoins pas de vaillance dans ses vocalises, avec un timbre d’une rondeur tendrement chaleureuse, aidé d’un vibrato maîtrisé avec goût.
Le contre-ténor espagnol Alberto Miguélez Rouco possède la posture et la voix innocentes qui siéent à son personnage Armindo. Son timbre velouté est plein de finesse et de délicatesse, tout comme sa gestuelle qui se montre également précieuse dans la conduite de ses phrasés, d’une clarté touchante. La salle est peut-être un peu inadaptée pour sa voix mais il réussit tout de même à être suffisamment présent.
Le fougueux et malheureux guerrier Emilio est chanté par le ténor australien Jacob Lawrence. Si ses vocalises se montrent un peu sèches dans la première partie, il est beaucoup plus à l’aise en la seconde, agréablement présent lors de ses récitatifs, ainsi que par son timbre vaillant et fier qui campe bien son personnage, y compris dans les traits ornés.
Enfin, le bras droit de la Reine Partenope, Ormonte, est interprété par le baryton franco-polonais Matthieu Walendzik. Son rôle est un peu plus secondaire mais il démontre l'étendue d'une voix bien timbrée. Ses traits sont parfois un peu abrupts, la musique paraissant trop rapide pour lui, mais il équilibre néanmoins les ensembles, en trio ou en quatuor.
Sous la direction précise, attentive et sensible de William Christie, les musiciens des Arts Florissants déploient une musique souvent pétillante, toujours pleine de vivacité, au risque presque d’en faire un peu trop, avec des tempi semblant trop vifs lors des premières pages de l’ouvrage. L’équilibre avec l’intensité vocale des jeunes artistes et leur volonté de proposer un texte toujours intelligible finit par se trouver assez naturellement. Malgré les traits virtuoses et rapides, l’ensemble reste constamment homogène et force de proposition de couleurs, sans jamais tirer la couverture au détriment des chanteurs.
Le public salue très chaleureusement ces jeunes artistes qui proposent déjà des personnalités propres, appelées à les mener loin, comme nombre de leurs prédécesseurs lauréats au Jardin des Voix, école cette année et ce soir encore de l’excellence, de l’exigence et, surtout, de la beauté interprétative.