Un vent de poésie avec Benjamin Bernheim au TCE
La soirée tourne autour des mélodies de Chausson, Duparc, ou encore de Brahms ou Britten : un programme à la fois coquet et intime qui s’ouvre sur le Poème de l’amour et de la mer et qui se clôt sur Love went a-riding, composé par Frank Bridge, sur un texte de Mary Coleridge. Ce vent de poésie enchante la salle du Théâtre des Champs-Élysées et son public, qui salue avec chaleur la présence de Benjamin Bernheim et du pianiste Mathieu Pordoy. Le piano trône d’ailleurs en majesté sur la scène, auréolé, semble-t-il, par une lumière qui se découpe autour en arc de cercle sur le fond doré métallique servant de décor. Là se déploie la musique, vive, tourmentée, mélancolique et fugitive.
Au piano d’abord, Mathieu Pordoy développe un jeu lumineux, magnifié par les sursauts d’agilité, l’habileté et la tonicité qu’il apporte à la musique : ainsi charme-t-il l’oreille du spectateur, en particulier dans les longs passages du Poème de l’amour et de la mer où le piano capte l’attention de toute la salle pour lui faire montre de sa souplesse et de sa dextérité. À noter également la grande complicité entre les deux interprètes, très attentifs l’un à l’autre, la présence rassurante et engageante de Mathieu Pordoy pour un Benjamin Bernheim légèrement tendu au début de la soirée.
Le ténor ouvre le concert avec Chausson, où il déploie une voix large, claire et relativement bien articulée. Quelques effets de sourdine viennent cependant calfeutrer une voix autrement très à l’aise dans les parties forte, dont la portée et l’amplitude font, plus d’une fois, vibrer toute la salle. Une certaine tension se ressent toutefois chez le ténor, qui l’empêche peut-être de déverser l’émotion nécessaire à cette première partie. Il revient cependant sur scène avec un Duparc beaucoup mieux maîtrisé, en particulier dans son Phidylé, où il déploie de chaudes nuances, qui siéent mieux à sa voix, par ailleurs dotée d’une puissance infiniment aisée, que le ténor sait projeter avec éclat.
Mais le répertoire qui convient le mieux, ce soir-là, à Benjamin Bernheim, est sans conteste le Lied. Dès les premières notes, le ténor apparaît beaucoup plus à l’aise et, souple, sa voix se plonge avec un incroyable naturel dans les mélodies de Brahms, entamées par Die Mainacht et s’achevant sur Auf dem Kirchhofe, qui termine sombrement ce cycle (de "La nuit de mai" au "Cimetière"). L’émotion est, ici, au rendez-vous et le spectateur se laisse emporter par les notes, les belles sonorités de la langue allemande (parfaitement maîtrisée), la justesse et la précision du chant.
C’est enfin par Benjamin Britten et Franck Bridge que se clôt ce récital en trois langues, avec un Benjamin Bernheim déjà bien plus à l’aise. Il se prête avec une fantaisie doublée d’une amère légèreté à The Salley Gardens, pénètre avec chagrin The last rose of summer et enfin, dans un sursaut de tonus et de vigueur pour Love went a-riding, il achève sur une explosion d’applaudissements.
Heureusement pour ce public, les interprètes gardent quelques surprises pour la fin et, dans une ambiance guillerette, ils entament le bis avec Poulenc et son Voyage à Paris, d’une heureuse affection qui met la salle en joie (nombreux sont mêmes les spectateurs qui quittent la salle en sifflotant cet air), tout en préparant le terrain pour le soudain contraste avec "Pourquoi me réveiller, ô souffle du printemps ?" du Werther de Massenet, que Benjamin Bernheim, certes, habitué du rôle et du répertoire, chante encore une fois avec une souplesse et un naturel si éblouissant qu’il semble, en une seconde à peine, déjà devenu Werther. Encore une fois, les applaudissements font écho à une salle en liesse et c’est le cœur ému et chargé d’émotions variées que le public quitte la salle, pour la fin de cette soirée de poésie.