Haendel par Jupiter ! concert entre amis, Cité de la Musique
Le programme présente un échantillonnage d’airs extraits des oratorios en anglais de Haendel, dévoilant une musique inventive, tantôt expressive et tantôt hautement virtuose. Le compositeur, en se consacrant alors à ce nouveau genre, riche d’une expérience dans le domaine de l’opéra italien, transpose toutes les nuances dramaturgiques aux thèmes de ses oratorios, qu’ils soient bibliques (Saül, Solomon), historiques (Occasional Oratorio qui célèbre la victoire du Duc de Cumberland) ou mythologiques (Semele et Hercules).
L’Ensemble Jupiter, sous la direction artistique de Thomas Dunford, propose un mélange de pièces spirituelles qui recrée une nouvelle dramaturgie sur le thème de l’amour. Présenté avec beaucoup d’humour et de décontraction par le luthiste, le programme s’articule en deux parties autour des « amours de Lea et Iestyn ». La première partie révèle les joies de l’amour, « c’est dans la deuxième partie que les choses vont se gâter ! ».
Les airs choisis, bien que d’inspiration biblique ou mythologique, expriment les affres des amoureux et une palette d’expressions des passions humaines. Cependant, hors contexte, certaines attributions de rôle peuvent étonner : Dans Semele, Iestyn Davies incarne à la fois Athamas avec l’air écrit pour sa voix "Despair no more shall wound me", mais aussi Juno, la femme de Jupiter ("Hence, Iris, hence away") et Ino, la sœur de Semele dont il devrait être amoureux lorsqu’il interprète Athamas ("But Hark! The heavenly sphere turns round"). Lea Desandre quant à elle, se fait soprano pour interpréter le rôle de Theodora (qui donne son nom à l’oratorio) et redevient mezzo-soprano pour le rôle d’Irene, l’amie de Theodora.
Dans un mouvement très fluide, les chanteurs prennent place à tour de rôle devant l’orchestre, se retrouvant pour les duos. S’ils sont tous deux convaincus aussi bien dans les airs cantabile expressifs que dans la virtuosité, ils font cependant entendre deux personnalités vocales et musicales distinctes.
Lea Desandre exprime la langueur plaintive et, dans l’air de Theodora "With darkness deep" (Dans les profondes ténèbres), elle espère le repos éternel dans un phrasé délicat que lui permet sa voix ductile. Tout est suavité dans l’air "Guardian angels" (Anges gardiens), les aigus sont aspirés dans une volupté constante et les frottements des notes tenues avec le hautbois sont autant de caresses musicales. Si la mezzo-soprano assume les airs de bravoure en balayant les vocalises sans effort apparent, elle peine cependant à intensifier le discours et la vengeance dans "Fly from the Threat'ning Vengeance, Fly" (extrait d'Occasional Oratorio). Elle n’effraie pas réellement et les vocalises passionnées de Semele dans l’air "No, no I’ll take no less" n’endossent pas la démesure attendue.
Cette réserve se retrouve dans les duos, offrant un pendant serein au tempérament plus enflammé manifesté par Iestyn Davies. Ainsi exprime-t-il ardemment son amour inextinguible dans le duo "To thee, thou glorious son of worth" entre Didymus et Theodora sans contenir les notes aiguës. Ses vocalises sont véloces et assurées quand il est Athamas se réjouissant de l’amour d’Ino, offrant de belles envolées joyeuses. Le contre-ténor anime le phrasé d’inflexions dans la prière de David (extrait de Saül) mais, si l’ardeur n’est jamais loin, il ne parvient pas totalement à exprimer la colère dans l’air de Juno, n’utilisant jamais la puissance du registre de poitrine.
Les huit instrumentistes de l’Ensemble Jupiter accompagnent et dialoguent avec les chanteurs dans une osmose musicale impressionnante. Sans chef pour diriger, les regards se croisent et l’écoute entre eux est palpable. Le hautbois de Neven Lesage chante en même temps que la mezzo-soprano, les violonistes Sophie Gent et Tuomo Suni ainsi que l’altiste Jerôme van Waerbeke expriment des plaintes à leurs instruments à l’instar des chanteurs mais l’ensemble martèle l’accompagnement lorsqu’il s’agit de jalousie ou de vengeance. La seule pièce instrumentale du programme, la Sarabande extraite de la Suite n°4 (rendue célèbre par le film Barry Lyndon), fait découvrir les talents d’improvisation de Thomas Dunford au luth, mais également ceux de la violoncelliste Keiko Gomi et du claveciniste Tom Foster.
Après la reprise du premier air du programme ("Eternal source of light divine") qui transporte de nouveau l’auditoire dans des sphères célestes, les musiciens interprètent une chanson composée par Thomas Dunford qui se transforme en "bœuf" musical, perpétuant l’atmosphère décontractée d’une soirée entre amis.
Haendel figurait également mais sous un autre visage parmi le programme donné par Jupiter au TCE à huis clos :