Concert d’ouverture de la saison de l’Académie de l’Opéra de Paris
Les spectateurs sont arrivés tôt pour trouver les meilleures places à l’Amphithéâtre Olivier Messiaen de l’Opéra Bastille. Les mélomanes fidèles de ce programme savent qu’ils ont ce soir le privilège d’entendre les jeunes et talentueux artistes choisis pour être en résidence à l’Académie de l’Opéra national de Paris, et sans doute ainsi certaines des voix dont il faudra retenir les noms. Accompagnés des conseils de Victoria Sitjà (qui intègre l’équipe en temps que metteuse en scène) pour l’occupation du plateau, les artistes défendent le répertoire français du XIXe siècle avec des extraits d’opéras romantiques, sous la direction de Félix Ramos (chef de chant entré l’année dernière) et aidés par la préparation vocale d’Irène Kudela.
La basse espagnole Alejandro Baliñas Vieites est le premier à faire entendre sa voix au timbre chaud projetée avec facilité dans l’air "Quand la flamme de l’amour" extrait de La jolie fille de Perth de Georges Bizet. Le ténor coréen Kiup Lee lui répond avec "À la voix d’un amant fidèle" extrait du même opéra. Son timbre possède une certaine rondeur homogène sur toute la tessiture, trahissant une sensibilité musicale qui aurait pu être encore plus convaincante en gagnant un peu en souplesse dans la conduite des phrasés. Avec l’air de Leïla extrait des Pêcheurs de perles, "Me voilà seule dans la nuit", la soprano américaine Ilanah Lobel-Torres montre une présence touchante, un chant nuancé avec un timbre clair, de lumineux aigus et un vibrato agréablement maîtrisé pour aider son expressivité, y compris dans les vocalises. Ses inspirations et certaines expirations sont toutefois un peu trop fortes et son beau duo avec Kiup Lee est encore peu intelligible. Pour ces quatre premiers airs, les artistes sont accompagnés du pianiste et chef de chant espagnol Carlos Sanchis Aguirre, au touché clair et équilibré qui encourage les chanteurs à avancer sans les brusquer.
Venant des escaliers de l’allée centrale de l’amphithéâtre, le contre-ténor vénézuélien Fernando Escalona semble débuter "Sur les lagunes" des Nuits d’été d’Hector Berlioz dans un registre de passage, ne lui donnant pas l’assurance vocale qui est trahie par un vibrato serré. Retrouvant la scène, il gagne en aisance, fait entendre d’intéressantes intentions de nuances, un timbre assez moelleux dans les médiums comme les graves qui sonnent toutefois moins sûrs, et solaire dans les aigus, malgré quelques portamenti (portés de voix). Le souffle manque un peu cependant dans le soutien, notamment en fins de phrasés. Le baryton russe Alexander Ivanov, avec l’air de Valentin "Avant de quitter ces lieux" du Faust de Charles Gounod, fait entendre une chaleur de timbre projetée avec aisance. Son vibrato est ample, lui procurant la beauté du son au détriment de la compréhension de son texte. Ses aigus restent difficiles malgré une attention patente de son souffle qui gagnerait à s'assurer encore. Le pianiste et maître de chant Ramon Theobald accompagne avec clarté et sérieux, voire trop, manquant alors de souplesse dans son jeu.
La mezzo-soprano française Marine Chagnon surgit de derrière le public pour interpréter avec une présence scénique malicieuse "Nobles seigneurs, salut !" des Huguenots de Giacomo Meyerbeer. Par son aisance, sa projection évidente et sa diction très compréhensible, elle réussit à captiver. Elle convainc également par ses vocalises longues et propres. Lors du fameux "Être ou ne pas être" de l’Hamlet d’Ambroise Thomas, le baryton chypriote Yiorgo Ioannou se montre agréablement nuancé, phrasé avec soin et doté d’un timbre chaleureux. La soprano russe Kseniia Proshina lui répond en douce Ophélie en duo "Doute de la lumière", avec une voix très claire et de jolis aigus (ses médiums pourraient toutefois gagner en intensité). La mezzo-soprano française Lise Nougier incarne le Prince de Cendrillon (Jules Massenet) avec son air "Allez, laissez-moi seul". Son texte est limpide, sa voix est plutôt lumineuse, aux phrasés bien conduits, souples et avec conscience du texte. Il est néanmoins fort dommage qu’elle n’ait pas la même aisance et souplesse physiquement, semblant presque maladroite dans l’espace scénique. Dans son duo avec Kseniia Proshina "Toi qui m’es apparue", la mezzo-soprano fait preuve de nuances sans perdre de présence vocale. La soprano semble au contraire être suffisamment présente sur scène mais comme se retenir vocalement, gagnant toutefois en assurance pour ses notes aiguës. Pour les accompagner, le pianiste et chef de chant Hugo Mathieu, dont le toucher sensible produit un son assez feutré, propose de très belles couleurs pianissimi, sachant se faire oublier tant il est attentif aux intentions des chanteurs.
Félix Ramos accompagne du piano avec assurance la soprano italienne Martina Russomanno pour L’Extase de La Vierge de Massenet. Sa formation d’actrice est patente : son texte en français est limpide, son timbre est lumineux, ses phrasés nuancés avec pertinence et sa présence scénique ne manque pas d’expressivité, notamment par son regard habité.
En seconde partie, le timbre impérieux du baryton-basse écossais Niall Anderson chante "Riez, allez, riez du pauvre idéologue" du Don Quichotte de Massenet. Son vibrato l’aide à projeter sa voix et à lui donner une certaine présence bien que l’aisance scénique ne soit pas encore totale. Quant à la basse américaine Aaron Pendleton, qui lui répond lors du duo du même opéra, il sait jouer de ses timbres et intentions avec un certain naturel et une diction très claire, contrastant alors avec la voix très timbrée et vibrée de son comparse. Ce que l’un gagne en clarté du texte et du jeu, l’autre le gagne en beauté du chant (sans oublier l’appréciable intervention en coulisse de Marine Chagnon).
Après un interlude instrumental avec L’Élégie pour violoncelle et ensemble de cordes de Massenet par les neuf instrumentistes de l’Académie, dont en soliste la sensible violoncelliste Rune Hitsumoto sur un tapis très doux avec sourdine de ses collègues, ceux-ci accompagnent cinq chanteurs pour « Nous avons en tête une affaire » extrait de Carmen de Bizet. L’élégance vocale et scénique du ténor Kiup Lee s'y fait remarquer, comme le jeu malicieux quoique pas toujours suffisamment présent de Yiorgo Ioannou, tout comme sa collègue Marine Chagnon en Carmen, malicieuse qui gagnerait en audace et intensité vocale. Enfin, pour clore la soirée, le public a droit au beau et rare quatuor final « Par la main de ce fils » du Tobie de Charles Gounod, dans lequel Alejandro Baliñas Vieites impressionne notamment par la facilité de sa présence vocale.
Le public, venu avec curiosité et certainement de grandes attentes, ressort avec satisfaction, attendant déjà la prochaine occasion d’entendre de nouveau ces jeunes talents !