Passion de la petite fille aux allumettes à Strasbourg
Dans le cadre du Festival Musica et en écho à la création française à l'Opéra National du Rhin d'un opus sur un autre conte d'Andersen, les voûtes de l’Église Saint-Paul à Strasbourg accueillent les voix de la Maîtrise de l'Opéra National du Rhin et de quatre chanteurs de l’Opéra Studio, pour un programme entièrement dédié à la musique contemporaine américaine. Sous la direction d'Alphonse Cemin, les jeunes artistes livrent une interprétation sobre et sensible d’un répertoire questionnant la finitude et la fragilité humaine.
Réunis par le fil de l’élégie et le chant qui déplore la disparition, les œuvres des éminents compositeurs américains David Lang, Ted Hearne et Caroline Shaw sont juxtaposées au programme et trouvent une résonance singulière. Pour sa Passion de la petite fille aux allumettes (2007) David Lang puise dans l’univers onirique et terrible du conte d'Hans Christian Andersen, dont le texte, repris à l’identique est entrecoupé de passages tirés de la Passion selon Saint Matthieu de Jean-Sébastien Bach. Tissée de part en part par un langage proche du minimalisme, l’œuvre écrite pour quatre voix solistes et percussions offre une nouvelle grille d’interprétation de ce conte bien connu (où une jeune fille meurt de froid, même en brûlant quelques allumettes qu'elle est censée vendre) : celui-ci prend une tournure existentielle et spirituelle, rappelant le sacrifice des ignorés, des plus faibles.
Cette idée se fait encore plus actuelle et palpable avec Ripple (2012) de Ted Hearne : nul récit fictif ici, mais un texte tiré d’un télégramme de l’armée américaine exposant l’erreur fatale d’un soldat, qui à cause du « reflet du soleil », tire sur un véhicule occupé par une famille en Irak. L’émotion absente du texte froidement informatif est alors pleinement dessinée par la sobriété dramatique de l’écriture.
Enfin, Its Motion Keeps (2013) pour chœur d’enfants et alto solo de la compositrice Caroline Shaw, (également chanteuse, l’œuvre de celle-ci et son ensemble Roomful of Teeth étaient déjà mis à l’honneur en ouverture du Festival Musica et à l'inauguration du Festival Musique(s) Rive Gauche), évoque, d’un point de vue poétique et philosophique cette fois-ci, la vanité du temps qui passe et s’efface.
Sous la direction méthodique et pointilleuse d'Alphonse Cemin, les jeunes filles de la Maîtrise de l’Opéra du Rhin effleurent d’abord avec timidité et fébrilité les notes aiguës. Malgré la rigueur implacable de la direction, la polyphonie manque par moment de clarté rythmique. Pleines et homogènes, les voix se déploient peu à peu et emplissent l’espace du chœur dans les échos tournoyants sur Its Motion Keeps. Tel un poudroiement kaléidoscopique, le timbre des voix se colore et les dynamiques antiphonées sont prestement ficelées.
Dans l’alternance soutenue entre passages solistes et ensembles, la mezzo-soprano Elsa Roux Chamoux brille par l’épure moelleuse de son timbre et la netteté de sa diction. Plongé dans celui du public, son regard expressif offre une émouvante véracité au texte de la Passion de la petite fille aux allumettes. Faiblement audible dans les passages aux motifs répétés, le ténor Damian Arnold aborde avec brillance et souplesse les registres aigus. Très à propos, son timbre se fait larmoyant et son vibrato léger. La soprano Lauranne Oliva se distingue par des aigus flamboyants qui ont cependant tendance à couvrir l’ensemble. Avec une attitude justement méditative, elle effectue une saisissante descente en octave rappelant l’imploration christique : « Eli, Eli ». La voix d'Oleg Volkov révèle de clairs aigus mais peine à se déployer dans la brièveté des motifs propres aux parties de baryton de l’œuvre de David Lang. Passant de la grosse caisse aux cloches tubulaires, le chanteur excelle cependant dans les changements de registres et ses graves enveloppent d’une douce écorce les passages en ensembles.
L’altiste Joachim Angster fait tinter de soigneux pizzicati qui perdent cependant en force, victimes de l’acoustique exigeante de l’église.
Le concert s’achève dans une atmosphère recueillie, presque suspendue. Le public, subjugué, se remet lentement de l’interprétation de ces œuvres poignantes et l’applaudit chaleureusement.