Voix naturelles et surnaturelles : Les Métaboles au Festival Musica
Pour parvenir aux Halles Citadelle, ancien entrepôt portuaire réaffecté en salle de concert, les festivaliers doivent d’abord se glisser entre conteneurs, yourtes, buvette et tables bondées éclairées par des guirlandes multicolores. Situé sur une presqu’île en périphérie de la ville de Strasbourg, le lieu du concert est particulièrement propice à cette édition du Festival Musica qui s’investit de « relier les mondes », et a fortiori, de relier le monde de l’homme à celui qu’il côtoie continuellement, celui de la nature. Aussi, les œuvres choisies de Raymond Murray Schafer, compositeur canadien récemment disparu le 14 août 2021, revêtent-elles une actualité significative : dans Snowforms (1981), Miniwanka / The Moments of Waters (1971), le paysage enneigé ou l’eau sont perçus sous leur versant acoustique et illustrent l’idée de « paysage sonore » initiée par le pédagogue et théoricien, tout en puisant dans la terminologie amérindienne. Les deux autres pièces du programme, Vox Naturae (1997) et Magic Songs (1988) mettent en valeur les facettes invisibles de la nature, métaphysique et spirituelle. Inspirée du poème de Lucrèce, De rerum natura (De la nature des choses), Vox Naturae oppose discours scientifique et imagination à travers la spatialisation de trois chœurs, tandis que les incantations des Magic Songs, entièrement fondées sur des onomatopées, rappellent la puissance du chant et son pouvoir sur les éléments, tels que les conçoivent les traditions amérindiennes. Tournée vers le patrimoine littéraire balte cette fois-ci, représenté par l’épopée finnoise du Kalevala, l’œuvre Raua Needmine (1972) du compositeur estonien Veljo Tormis complète le programme avec la question de la subversion de la matière (en l’occurrence le fer) à des fins guerrières.
Déjà familiers du répertoire de Raymond Murray Schafer (l’ensemble avait déjà interprété Magic Songs lors de l’inauguration de leur résidence à Royaumont en septembre 2018), Les Métaboles interprètent avec une justesse implacable ce répertoire entièrement a cappella. Dans les hummings, longues tenues, les pupitres de basses prennent la teinte profonde de l’ébène et une rugosité caverneuse. Le caractère hypnotique de certaines parties des Magic Songs est ciselé par des crescendi et accelerandi progressifs, méticuleusement dosés, concentrés et incarnés par les déambulations des chanteurs sur scène. De texture très homogène, la palette du chœur allie le velouté des alti, la pureté saisissante des soprani, à la chaleur claire des ténors. Extrêmement concise, la prononciation des consonnes sculpte les visages qui prennent des traits grimaçants, immergeant totalement l’assemblée. Conjuguant mouvement et hiératisme, jeux de percussions et attitudes presque théâtrales, l’ensemble rend manifeste sa polyvalence.
La Maîtrise Sainte Philomène offre un chant net, aux touches irisées et aux aigus scintillants. Les jeunes artistes portent avec justesse les portamenti et passages en bouche fermée de Snowforms mais les syllabes sont, par moment, malheureusement voilées par leurs masques.
À la fois souple et ferme, la direction de Léo Warynski condense une grande exactitude rythmique et une créativité du geste. Les poings fermés donnent force et densité aux dynamiques, tandis que la rigueur des indications fluidifie les passages où le chœur œuvre derrière le chef. Précise et délicate, la direction de Nicolas Wittner se pare pour sa part de coulées de doigts afin d’imiter la neige.
Sous les applaudissements d’une salle comble (et comblée), Léo Warynski exprime sa reconnaissance et son émotion de donner ce concert en Alsace, lieu dont il est originaire, et de surcroît avec Nicolas Wittner, ancien camarade de chœur et ami. Les deux ensembles réinterprètent avec une fougue décuplée Miniwanka et son cortège de pluies et de cascades, imité par les frappements de pieds de la maîtrise.