Symphonie Résurrection de Mahler, fresque existentielle à la Philharmonie de Paris
La Symphonie n° 2, "Résurrection", occupe une place particulière dans la vie de Gustav Mahler ainsi que dans celle de Semyon Bychkov. Les deux artistes l’ont choisie pour un concert d’adieu, l’un à l’opéra de Vienne après 10 ans de service et l’autre à l’Orchestre de Paris qu’il dirigea pendant 9 ans (de 1989 à 1998). Tous deux reconnaissent une dimension métaphysique à la musique et le compositeur de déclarer : « Lorsque j’écoute de la musique ou lorsque je dirige, j’entends très précisément la réponse à toutes ces questions et j’atteins alors une sécurité et une clarté absolues. Mieux, je ressens avec force qu’il n’existe pas de questions ! » Le chef d’orchestre, comme en écho à ces propos et aux besoins de nourriture spirituelle en période de crise pandémique lui répond dans une interview pour Le Figaro : « Quand on va mal, on a besoin de spiritualité. Pas comme consolation mais pour nous interroger au plus profond sur le sens que nous voulons donner à nos vies. »
Cette 2ème Symphonie se présente comme un voyage existentiel, débutant dans les ténèbres pour aller vers la lumière, interrogeant le sens de la vie, de la mort, de la résurrection obtenue après un dur combat. Mahler confie cette épopée à un effectif orchestral colossal et il justifie ainsi l’ajout de la voix (un chœur et deus solistes) à cette œuvre: « Quand je conçois une grande peinture musicale, j’en arrive toujours au point où je dois m’adjoindre la parole comme support de mon idée musicale. »
Semyon Bychkov s’engage avec force dans ce chemin, dès le déchainement tumultueux du premier mouvement. Il entraîne l’Orchestre de Paris dans un tempo soutenu, battant la mesure ou se balançant d’un pied sur l’autre pour soutenir le tempo qui avance constamment. La grande pause voulue par Mahler à la fin du mouvement initial permet à tout le monde (artistes et auditoire) de récupérer après cette marche tourmentée. Dans un grand contraste s’ensuivent les pages apaisées d’un Ländler (danse populaire) gracieux faisant chanter les cordes dans leur homogénéité. Cet apaisement n’est pas contrarié par le scherzo que l’orchestre interprète dans un tempo confortable, sans aspérité, amoindrissant cependant le coté sarcastique et cauchemardesque du mouvement. Traversant le dédale de ruptures (entre accalmies et déchirements angoissés) du cinquième mouvement, Semyon Bychkov favorise l’ampleur des phrases avec générosité, sans omettre les détails de la partition (les petites notes des bois) que l’acoustique exceptionnelle de la salle permet au public de savourer.
Le Chœur de l’Orchestre de Paris, intervenant uniquement à la fin du dernier mouvement fait une entrée saisissante. Restant assis dans une position hiératique (les mains posées sur les genoux), les voix annoncent la résurrection dans un murmure, soutenu par un solide au pupitre de basses. Dans une certaine théâtralité, tous se lèvent à "Bereite dich zu leben!" (Prépare toi à vivre !) et dans un équilibre constant, participant au crescendo ultime, les voix se retrouvent aspirées vers les limbes résonantes et victorieuses.
La voix de la soprano Hanna-Elisabeth Müller émerge du chœur subtilement (restant assise elle-aussi, le public se demandant un instant d’où provient ce son). Son timbre concentré et riche s’apparente aux sonorités des bois et sa voix s’envole dans un lyrisme assuré passant par dessus le chœur dans l’hymne final.
Dans le moment apaisé du quatrième mouvement, Christa Mayer interprète Urlicht (Lumière originelle) avec une certaine ferveur ingénue, articulant le texte précisément. Chaque parole du Lied extrait du recueil « Le cor enchanté de l’enfant » (Des Knaben Wunderhorn) devient précieuse, au plus près des intentions de Mahler : l’alto « devrait chanter comme un enfant qui s’imagine arrivé au paradis ». Sa voix ronde (point enfantine du tout) épouse le phrasé mahlérien dans toute sa subtilité, cependant son timbre souffre d’un certain manque d’homogénéité dû à un excès de sonorité métallique sur la voyelle i, amoindrissant la douceur des montées « Im Himmel » (au ciel).
Après 23 ans de séparation, Semyon Bychkov se demandait ce qu’était devenu l’Orchestre de Paris. La réponse se trouve dans les puissants applaudissements du public, heureux d’avoir pu assister à ces retrouvailles victorieuses.