Manon ouvre le bal au Théâtre des Champs-Élysees
Poursuivant sa collaboration avec l’Opéra national de Lyon, le Théâtre des Champs-Élysées programme Manon de Massenet en version concert. Après des changements de dernière semaine (Vannina Santoni remplaçant Patricia Petibon pour le rôle-titre et Jean-Sébastien Bou, Artur Ruciński pour celui de Lescaut), la distribution se révèle être majoritairement francophone (excepté le ténor albanais Saimir Pirgu) rendant quasi superflus les surtitrages. Cette nouvelle distribution permet à Vannina Santoni et Saimir Pirgu de se retrouver, eux qui étaient partenaires sur cette même scène dans la production de Traviata en 2018 puis en récital l'année dernière.
Dans un premier temps, la version concertante avec les chanteurs intervenant derrière leur pupitre ne semble pas très favorable à l’expression théâtrale de cet opéra-comique qui comprend de nombreux dialogues parlés. Néanmoins, la qualité des interprètes et leur investissement (pour tous les rôles, premiers et seconds) font apparaître de réels personnages véhiculant une forte empreinte théâtrale.
La soprano Vannina Santoni incarne Manon dans la plénitude de ses moyens (et de sa forme, elle qui attend un heureux évènement). Son timbre rond enrichi d’un vibrato chaleureux favorise l’aspect dramatique du personnage. Elle est touchante dans l’air "Adieu notre petite table", usant savamment des portamento (portés de voix), chantant entre les notes afin de soutenir le legato et osant des nuances extrêmes. Les vocalises-éclats de rire de son premier air ("Je suis encore toute étourdie") peuvent manquer de brillant, ce qui atténue le côté superficiel du personnage : le drame n’est jamais loin même lorsqu’elle dit « que ce doit être amusant de s’amuser toute une vie ».
Toute la vaillance juvénile du chevalier des Grieux apparaît dans la voix claire et projetée du ténor Saimir Pirgu. Il la module dans des demi-teintes touchantes pour l’air du songe "En fermant les yeux", assurant son registre mixte et sa voix de tête tout le long de l’air. Et quel contraste avec "Ah fuyez douce image" qu’il projette dans un grand lyrisme, chargeant ses aigus d’harmoniques jusqu’à la saturation, ce qui lui permet de passer par-dessus la masse orchestrale fournie.
Jean-Sébastien Bou (baryton) stupéfait à nouveau par sa faculté à nuancer son chant afin d’incarner les divers aspects du personnage de Lescaut : désinvolte, joyeux drille, manipulateur et effondré (au dernier acte). Sa palette de couleurs vocales semble infinie, sa diction irréprochable et il évolue dans une théâtralité constante.
Les talents de comédien d’Éric Huchet alliés à une voix campée de ténor en font un personnage de Guillot de Morfontaine haut en couleur. Ses interventions apportent la touche comique à l'œuvre sans jamais être caricaturales. À ses côtés, Philippe Estèphe en Monsieur de Brétigny offre une prestation bien mesurée soutenue par une voix de baryton assurée. Sonore dans la partie supérieure de sa tessiture, il peine cependant à projeter les notes graves, ce qui place le personnage quelque peu en retrait. Nicolas Testé assied l’autorité du Comte des Grieux de sa voix de basse charnue et sonore. Néanmoins, lisant beaucoup sa partition, sa théâtralité en ressort amoindrie.
Le trio Margot Genet, Amandine Ammirati et Clémence Poussin (toutes trois venant du studio de l’Opéra de Lyon) s’amuse à interpréter les trois « actrices » accompagnant Guillot de Morfontaine. Leurs voix interviennent dans une grande homogénéité teintant le drame de légèreté souriante.
Les chanteurs du chœur de l’Opéra national de Lyon ont beaucoup de mérite à chanter cette partition derrière leur masque. Le résultat ne déçoit pas, le son demeure homogène et généreux, le public applaudissant également la participation d’Antoine Saint Espès, Tigran Guiragosyan et Yannick Berne qui sortent du rang pour interpréter les petits rôles de l'œuvre.
Daniele Rustioni propose une lecture contrastée de l’opéra, mettant en valeur ses différents styles : mélange de pastiche néoclassique et de mélodrame romantique, de plaisanterie et de grandiloquence. Les cordes épousent les phrasés dramatiques et la petite harmonie se détache dans les moment plus festifs. Il fait sonner l’orchestre généreusement, jusqu’à couvrir parfois les chanteurs lorsque l’intensité dramatique culmine. Dans un grand contraste, il indique également des nuances d’une délicatesse saisissante. Il porte une grande attention aux chanteurs, les regardant et leur donnant tous les départs.
Même sans faire le plein de spectateurs, la salle du Théâtre des Champs-Élysées résonne des applaudissements du public enthousiaste. De quoi espérer que les salles se remplissent de nouveau pour qu’un maximum de monde puisse profiter, comme ce soir, de tels concerts et spectacles.