Évariste Galois, un génie tragique au Ventoux
Figure peu connue du grand public mais familière pour quiconque a étudié les mathématiques dans l’enseignement supérieur, Évariste Galois n’en demeure pas moins une figure à part dans l’histoire des sciences : un génie précoce, empêcheur de tourner en rond et dont les activités militantes à l’époque de la Révolution de Juillet lui valurent un renvoi de l'École Normale et un séjour en prison. Un génie mort prématurément à l’âge de vingt ans dans un duel au pistolet pour une « infâme coquette », un duel aux circonstances encore mystérieuses.
Il était donc grand temps de consacrer un opéra à ce personnage à la vie si romantique, tâche qu’ont relevée le jeune compositeur Fabien Barcelo et son librettiste Bruno Alberro, déjà auteur d’un ouvrage sur le sujet. La création mondiale a lieu en cette occasion du 3ème Festival des Soirées Lyriques du Ventoux, sur la scène en plein air du Jardin Singulier à Saint-Léger-du-Ventoux, minuscule village dans l’ombre du Géant de Provence.
L’intrigue de l’opéra démarre par le duel tragique avant de remonter dans le temps sur les circonstances l'y ayant amené, en commençant par la « nuit tragique » (sous-titre de l’œuvre) pendant laquelle Évariste Galois, sentant la fin venir, rédige son testament mathématique. Quelques passages parlés rappelant l’opéra-comique viennent s’intercaler entre les scènes. Malgré le choix de la version concertante, les solistes ne sont pas avares d’efforts pour introduire un semblant de mise en scène, Galois agonisant même longuement au pied de l’estrade du chef.
Le chef Quentin Hindley s’avère très à l’écoute de ses musiciens. Sa direction discrète et complice exacerbe la qualité évidente des instrumentistes de l’Orchestre National Avignon-Provence. La partition tonale et néo-classique de Fabien Barcelo (en soi déjà une originalité pour une œuvre contemporaine !) offre des moments de lumière à la harpe et aux hautbois. À peine quelques disparités mineures sont-elles à déplorer au niveau des cordes, et sans doute à imputer davantage à la disposition peu flatteuse des pupitres sur scène. Le Chœur de l’Opéra, forcément moins intelligible que les solistes, est bien en place et délivre une belle puissance sonore.
Dans les petits rôles, Simon Calamel et sa voix chaude de basse profonde incarne Dumas. Le timbre, généreux et assuré, épouse à merveille la bonhomie du personnage. Ses deux compères révolutionnaires, le baryton Matthias Jacquot (Pescheux) et la basse René Linnenbank (Raspail), aux voix plus claires, font montre de leur investissement. François Harismendy prête sa voix solennelle au Juge et au Cocher, rôles de narrateurs détachés du récit, ce qui se ressent au niveau de l’engagement vocal, sobre et efficace. Tous assurent une diction impeccable, une nécessité absolue en l’absence de surtitrage.
Le jeune ténor Valentin Thill incarne Antoine, le meilleur ami du héros : la voix est lumineuse malgré la difficulté du rôle, le timbre léger et doux sachant s’assombrir lors de la trahison finale. Lucie Roche prête son riche instrument et son vibrato ample à Berthe. Jouant de ses aigus généreux, de graves chauds et rassurants, la mezzo donne à la logeuse d’Évariste Galois des habits très maternels. À l’opposé, la Stéphanie de Chrystelle di Marco se doit d’incarner la tentation, la trahison, la violence. La partition de Fabien Barcelo n’épargne donc pas sa ligne de chant et les aigus doivent être passés en puissance. Les graves s’avèrent plus nuancés. Le timbre, dramatique, et le recours au vibrato détonnent à dessein avec la naïveté d’Evariste, son amant éconduit.
Ce dernier est incarné par Mikhael Piccone. Le rôle, central, est fortement sollicité tout au long de l’œuvre, quand les autres personnages gravitant autour de sa figure tragique quittent la scène à plusieurs reprises. Le baryton français apporte souffle, crédibilité et consistance à cet ardent personnage aux multiples facettes, tour à tour guerrier de la République, candide jouvenceau ou condamné à mort. La ligne de chant, solide et impeccable, épouse ces aspérités, tantôt claire, tantôt sombre sans jamais sombrer dans l’excès, avec des graves particulièrement chaleureux.
L'art lyrique résout ainsi (une fois encore) l'équation de proposer une création, appréciée, traitant d'une autre discipline et sur une figure historique ainsi re-valorisée.