Réunion de famille : un concert-spectacle inédit à l’Opéra de Nice
La forme originale de cette Réunion de famille assemble les arts du spectacle vivant (théâtre, opéra, ballet) avec des extraits des principales œuvres programmées cette saison. Après la projection du clip de présentation, qui emprunte aux codes graphiques des arts actuels, Bertrand Rossi, Directeur de la maison nommé en 2019, introduit la logique de la soirée par une chaleureuse allocution. Il est accompagné du chorégraphe de la maison, Eric Vu-An, et du tout nouveau chef principal de l’Orchestre Philharmonique de Nice, Daniele Callegari. Un public, déjà averti, réagit déjà par des applaudissements nourris, afin d’accueillir lui aussi ce chef à la stature internationale.
La soirée se donne comme une bouffée d’espoir et permet d’informer, sur place et sur pièces, les futurs spectateurs, en traçant les axes forts de la programmation. Les extraits choisis ne peuvent totalement suivre l’ordre chronologique de la saison mais pour mieux s’assembler sur deux axes forts : la référence au futur et au vivre ensemble.
Le dispositif scénique recouvre la fosse et vient assurer la continuité entre la scène et la salle, afin d’inclure et d’immerger le public dans le cœur du spectacle comme de toute la saison à venir (voir également notre article présentation). Ce spectacle se veut ainsi synesthésique, dynamique et même cosmique.
Le théâtre est représenté en lien avec les autres arts par la comédienne Sophie De Montgolfier, qui lit des extraits de textes en relation étroite avec les œuvres. La partie lyrique fait la part belle aux voix d’hommes, avec le baryton français Vincent Le Texier et la basse italienne Giacomo Prestia. Le premier est un personnage de l’opéra Akhnaten du compositeur américain Philip Glass, dans la scène des funérailles. Il est accompagné par les Chœurs maison, dont les déplacements, depuis la salle jusqu’à la scène, sont géométriques (notre compte-rendu de cette production captée à huis clos en novembre dernier et qui franchira donc la barrière de la réalité virtuelle, en novembre prochain). Ouvrir un programme par une scène de funérailles, celles du Pharaon Amenhotep III, père d’Akhénaton, premier inspirateur du monothéisme, est audacieux mais s’inspire sans doute d’une volonté d’enterrer le monde ancien afin de libérer les forces vives de la Terre. Vincent Le Texier y déploie sa voix de granit à la pointe de la pyramide scénique et vocale. Les sons, à la fois posés et projetés, entre cri et invocation, ont la solide ampleur de son coffre.
L’œuvre, composée et créée dans les années 1980 est le troisième et dernier volet d’opéras consacrés à des hommes qui ont changé le monde (Changer la vie est d'ailleurs le titre de la chanson de Jean-Jacques Goldman qui accompagne le clip de présentation de la maison d’opéra niçoise). Chez Philip Glass, la simplicité du résultat sonore est le fruit d’une extrême complexité rythmique. Elle exige la présence de deux chefs, l’un pour l’orchestre, l’autre pour le chœur, Giulio Magnanini, qui se tient dans la loge principale.
Vers la fin de la représentation, d’une durée d’1h15, l'auditoire peut apprécier de nouveau une voix soliste d’opéra : la basse italienne Giacomo Prestia, avec l’air "Come dal ciel precipita" extrait du Macbeth de Verdi (programmé pour mai 2022). Là aussi, la matière dramatique est sombre, et recouvre la salle. Il lui confère ses graves murs, aussi authentiques que les gestes de ses deux grandes mains, tandis que la longueur de son souffle étire ses phrases jusqu’au cœur de l’auditeur. L’air est suivi par “Patria oppressa”, où les choristes sourdent progressivement, en un lent pèlerinage, de la salle pour les femmes, des loges d’avant-scène pour les hommes.
L’Orchestre est également mis à l’honneur notamment en cette soirée d’ouverture, par l’ouverture de La Dame blanche (opéra de François-Adrien Boieldieu à l’affiche en janvier). Un contraste de couleur saisissant vient ensuite claquer sur la scène, avec le Capriccio Espagnol de Nikolaï Rimski-Korsakov (qui figurera au programme du récital donné par Sophie Koch en avril). Les chefs de pupitre de la phalange niçoise, à commencer par son premier violon, puis tour à tour, la flûte, la clarinette et la harpe, s’acquittent en virtuoses de leur cadence, sur le fond moelleux des cors et le pailleté des percussions. Poussant encore plus loin le double voyage, géographique et culturel, l’ouverture du Voyage dans la Lune de Jacques Offenbach est également donnée avec une immense lune projetée sur le voile de scène, nourrissant l’imaginaire inspiré par Jules Verne et invitant pour février prochain.
Ce spectacle carnet de voyage continue de regarder vers la lune avec le chevalier errant et rêveur espagnol Don Quichotte : occasion de valoriser la riche programmation chorégraphique niçoise. Le lien se tisse aussi entre danse et opéra via le ballet de Faust. Le spectacle bien vivant sur la scène expose ce soir le petit nombre, avec les pas de deux jusqu’à cinq, comme l’effectif d’une revue. Le travail du chorégraphe Eric Vu-An, Directeur artistique du Ballet Nice Méditerranée, est personnel tout en s’appuyant sur d’illustres devanciers, à l’intersection de la danse classique et contemporaine (accompagnés toutefois en cette soirée par une musique enregistrée).
Des funérailles pharaoniques au deuil Shakespearien et jusqu’aux fêtes de Broadway, l’émotion, en grand spectacle, donne le la et mène la danse d’une nouvelle saison lyrique. La soirée s’achève sur le célèbre Cancan d’Offenbach dans Orphée aux Enfers, auquel le public est convié à participer, dans un spectacle qui, sans cesse, travaille à percer le quatrième mur, tout en sauvegardant l’excellence artistique, en retraçant l’histoire du spectacle vivant et en écrivant une nouvelle page niçoise.