Simone Kermes et ses Amis vénitiens au Festival baroque de Bayreuth
La ville verte de Bayreuth, située dans la Franconie bavaroise est un endroit bien connu des mélomanes et des amateurs d'art lyrique. Cependant, avant d'être la capitale mondiale du wagnérisme où les fidèles se pressent religieusement chaque été au "temple" trônant sur la Colline verte, Bayreuth hébergeait déjà l'une des plus belles maisons d'opéra du monde, un bijou d'architecture baroque : l'Opéra des Margraves. Cet édifice resplendissant, érigé en 1748 et réouvert en 2018 après six ans de reconstruction, accueille désormais le Festival de musique baroque qui, suite à une année d'ouverture difficile et encombrée par des restrictions sanitaires, regagne une vie normale avec ses programmations étoilées, pour cette deuxième édition en 2021.
Les jours de programmation du Festival entre les représentations de Carlo il Calvo (mis en scène) et Polifemo (en version de concert) de Nicola Porpora sont complétés par des récitals de chanteurs rigoureusement sélectionnés. Une parmi les "élues" de ces rendez-vous est la soprano allemande, Simone Kermes, dont la lyricographie comprend un vaste répertoire embrassant Lieder, belcanto et opérettes, ainsi que le baroque auquel elle consacra une partie majeure de son parcours professionnel. La chanteuse leipzigeoise se présente au Festival en compagnie de ses "amis vénitiens", l'ensemble baroque Amici Veneziani dont la création en 2017 s'inscrit dans la continuité d'une collaboration artistique de longue date entre la soprano et les instrumentistes italiens. Le programme du soir s'articule autour de l'amour, avec des chansons italiennes et anglaises du XVIIIe siècle, vocales mais aussi instrumentales (lorsque la musique parle et prolonge le langage devenu muet). Les airs de Monteverdi, Broschi, Pergolesi ou Purcell, Eccles et Haendel, professant l'amour sous toutes ses coutures à travers les textes profanes et religieux, annoncent une soirée pleine de feu vocal et d'émotions.
Ce concert se présente sous deux facettes : d'une part, les chansons au rythme et caractère affectueux, mélodies lentes et expressives souvent colorées d'un sentiment de lamentation ; d'autre part, les compositions rythmées et enjouées, emplies de cascades vocales qui émerveillent l'auditeur. La prestation de Simone Kermes est plus accomplie dans ces chants virtuoses et techniquement prenants. Les lamentations amoureuses, bien qu'imprégnées d'une sensibilité musicale qui affirme ses qualités d'interprète, peinent à retrouver la stabilité. Sa voix légère et volatile s'écaille dans les aigus lorsqu'elle entonne les chants avec une douce intensité. Son intonation se montre fragile tout au long de la soirée, surtout dans les passages qui demandent des changements de registres, en mouvements mélodiques sautillants où ses attaques sont empêtrées d'hésitations (Lamento della ninfa de Monteverdi ou Dite ohimè de Vivaldi). La prononciation est correcte, mais elle aussi inconstante.
Au contraire, lorsqu'elle affronte les airs énergiques et rythmiques (tel Agitata de due venti de Vivaldi), elle y répond avec beaucoup d'enthousiasme et d'application. L'ensemble de la gamme devient solide, sa voix de poitrine s'épanouit et fait facilement ressortir les notes du sommet de sa tessiture. Les vocalises, après un début hectique, gagnent en couleur et en équilibre pour allumer le brasier vocal qui se révèle très efficace auprès du public.
Les Amici Veneziani assurent par contre une interprétation sans failles qui retrouve sa juste place dans l'ambiance que produit l'architecture de ce théâtre unique. Le théorbiste se distingue avec sa sonorité intime et suave, tant en accompagnant la soliste soprano, qu'en porteur de l'harmonie au sein de l'ensemble. Par ailleurs, les deux violonistes jouent mélodieusement leurs parties respectives, s'unissant en un joli contrepoint, tout en rappelant le son des flûtes. Le sommet de leur art arrive au milieu du concert avec un morceau instrumental (issu de L'Olimpiade de Pergolesi).
Les auditeurs acclament chaleureusement la chanteuse et l'ensemble, ce qui leur vaut trois bis, dont une chanson en hommage à Marlene Dietrich : "Sag mir, wo die Blumen sind?" (Dis-moi où sont les fleurs ?), chantée en chœur avec le public présent.