Frédéric Roels, Directeur de l’Opéra d’Avignon sur sa saison 2021/2022 : « Continuer à inventer, à être artistes »
Frédéric Roels, vous avez pris vos fonctions il y a un an, mais votre première demi-saison programmée a été très perturbée par la situation sanitaire : comment avez-vous vécu ce début de mandat ?
J’ai vécu cette première année avec beaucoup de compréhension et de solidarité car tout le monde a souffert, que ce soient les institutions culturelles, les artistes, le public. Je ne l’ai donc pas vécue comme une attaque personnelle contre ma première demi-saison ! Même si nous avons été empêchés de rencontrer le public pendant plusieurs mois, j’ai tenu à ce que l’on maintienne une activité maximale. Nous avons répété des spectacles en vue de reprises futures, des enregistrements, des captations pour des diffusions sur internet, ainsi qu’un film. Cela nous a permis de maintenir au maximum les contrats qui étaient prévus. Il n’y a qu’une production qui a vraiment été annulée.
Lors de votre précédente interview, vous indiquiez que vous auriez aimé avoir le temps de monter un Chevalier à la Rose à Rouen : vous l’aviez planifié en janvier dernier à Avignon, mais la production a dû être annulée. Sera-t-elle reprogrammée ?
Tout à fait. Cette production a été répétée jusqu’à la générale piano. La production est presque finalisée. Nous la présenterons en ouverture de saison 2022/2023. Elle aura été jouée à l’Opéra de Trèves avant cela, puisqu’ils sont coproducteurs de ce spectacle.
Vous mentionniez également des œuvres comme La Ville morte de Korngold ou des Strauss comme Salomé ou Elektra : ont-elles des chances d’être programmées à Avignon ?
Je ne pense pas que nous puissions monter La Ville morte ici, malheureusement, car cela requiert un effectif orchestral trop important : il ne rentrerait pas dans la fosse de l’Opéra, même si elle a été un peu agrandie avec les travaux (nous avons gagné un mètre de chaque côté). Il en va de même pour Elektra. Il y a en revanche plusieurs orchestrations pour Salomé : l’une d’elles pourrait éventuellement être jouée ici.
Cette nouvelle saison marque le retour dans vos murs après des années de travaux : qu’est-ce que cela change ?
D’abord, c’est un signe formidable d’investissement des collectivités et du Grand Avignon en particulier. Cela montre leur confiance en l’avenir pour la culture. Ce n’est pas tous les jours que l’on fait des travaux de cette importance dans un théâtre. Ces travaux ont été faits avec beaucoup de bon sens et un grand respect de l’historique. Cela reste un théâtre du XIXème, juste rénové sans geste architectural qui serait contradictoire avec l’architecture de base du bâtiment, mais avec toutes les normes de confort moderne, tant en termes d’espacement et de confort des sièges que d’acoustique, de climatisation, d’accessibilité pour les personnes à mobilité réduite. Par ailleurs, l’équipement scénique est désormais à la pointe, avec notamment des cintres automatisés. Il y a eu les financements nécessaires, sans être une débauche de moyens et sans luxe ostentatoire. Les travaux ont coûté 19,5 millions d'euros hors taxes, ce qui est considérable pour une collectivité comme le Grand Avignon, tout en restant raisonnable. L’Opéra de Stuttgart a annoncé récemment une rénovation pour un milliard d’euros : on n’est pas dans les mêmes échelles.
Quel impact cela aura-t-il sur votre public ?
Le retour au centre-ville, au cœur de la cité, après quatre saisons marque symboliquement quelque chose de fort sur le rôle de cet opéra et ce qu’il signifie pour la vie sociale. En termes de dynamique de public, il y a beaucoup de questions, car ce retour va se faire simultanément au démarrage de mes programmations qui sont sensiblement différentes de ce qui était pratiqué avant. Le public avait déjà beaucoup évolué avec la migration provisoire et il va probablement encore évoluer maintenant. Ce qui va se passer dans les mois à venir va beaucoup nous éclairer sur la direction que l’on peut prendre artistiquement pour les saisons à venir.
En quoi consistait le projet que vous avez présenté au moment de votre nomination ?
Mon projet repose sur trois axes qui me tiennent à cœur depuis longtemps. Il y a d’abord la diversité des formes, l’interrogation de ce qu’est l’opéra aujourd’hui dans la rencontre et la combinaison entre différents langages, musical, chorégraphique, théâtral. Cela nécessite d’explorer des voies nouvelles, de construire des passerelles entre ces différents langages artistiques. J’ai en plus la chance à Avignon d’avoir un outil double puisque nous avons, en plus du théâtre du centre-ville, la gestion de L'Autre Scène de Vedène, salle moderne de 400 places, qui offre des possibilités scénographiques et une jauge différentes : cela permet d’explorer une diversité de formes, en allant vers le théâtre musical et des écritures plus contemporaines.
Le deuxième axe consiste à situer l’opéra au cœur de la société dans laquelle il s’inscrit, c’est-à-dire construire une relation avec les publics qui soit la plus diversifiée et partagée possible, en faisant intervenir le public dans la programmation, par exemple par le biais de l’opéra participatif, ou des formes de médiations qui sont très imbriquées dans la création proprement dite. Cela nécessite de s’interroger en permanence sur les populations qui vivent dans le bassin de population d’Avignon, sur leurs désirs, leurs expressions culturelles et la manière d’intégrer tout cela à notre programmation. C’est faire la démarche de rechercher ce que les différentes cultures, les différentes classes sociales, peuvent nous apporter dans nos écritures artistiques.
Enfin, le troisième axe est la place des artistes et l’importance donnée aux résidences artistiques. Nous aurons ainsi en résidence cette année une photographe pour les visuels de la saison, une compositrice et un couple de metteurs en scène (sur deux saisons) avec qui nous ferons différents projets. Le lien construit avec ces artistes va de la production de spectacles proprement dite à des rencontres avec les publics, le travail avec les écoles et le Conservatoire. L’idée est de faire vivre les artistes dans un projet sur une certaine durée. C’est important pour les artistes, mais aussi pour le public qui voit ainsi que les formes artistiques que l’on présente ne sont pas simplement parachutées mais sont le fruit d’un travail, d’une construction. Cela nourrira une curiosité et la relation entre le public et les artistes.
Quel est selon vous l’ADN de l’Opéra Grand Avignon ?
Il a la chance énorme d’être dans une petite ville, mais une ville de culture très forte avec le Festival de théâtre et pléthore de musées et monuments. Le nombre d’initiatives culturelles, ramené à la taille de l’agglomération, c’est-à-dire moins de 200.000 habitants, est sans commune mesure avec les autres villes de cette taille en France. L’Opéra est donc porté par cette exception culturelle qui est d’ailleurs le slogan de la ville [« Avignon, ville d'exception culturelle », ndlr]. Il bénéficie en outre de sa propre histoire : Raymond Duffaut a fait venir d’immenses chanteurs. Il y a donc une tradition lyrique très forte, qui est bien sûr en évolution, comme l’est le public et le modèle économique de l’opéra. Je ne pourrais plus aujourd’hui, avec notre modèle économique, avoir les chanteurs du calibre de ceux qui sont venus dans les années 1980, mais ce n’est pas grave : cette tradition nous nourrit et donne une force au projet. C’est enfin une maison de création depuis toujours : ce n’est pas qu’un lieu d’accueil de spectacle, mais un lieu où les productions se répètent, se créent. Nous n’avons pas d’atelier décor, mais un atelier costume très performant, et des forces artistiques permanentes avec notre chœur et notre ballet de 12 danseurs, ainsi que l’Orchestre National Avignon-Provence avec qui nous sommes associés, même s’il n’est pas intégré à l’Opéra.
Quels objectifs vous fixez-vous pour ce mandat ?
J’espère parvenir à construire ou reconstruire un public : c’est un enjeu très important. Je voudrais aussi rassembler le plus possible d’artistes dans un compagnonnage avec l’opéra. J’espère que nous développerons d’autres résidences et que cela amènera à Avignon des artistes qui pourraient s’y installer car il me semble important de construire une vie artistique avec des résidents locaux. Enfin, je voudrais développer des partenariats internationaux. L’Opéra a beaucoup fonctionné avec des coproductions nationales, ce qui est très bien, mais il y a maintenant une étape à franchir en construisant davantage de coproductions avec des opéras en Allemagne, en Italie ou ailleurs.
Le thème de la saison 2021/2022 est « Contre vents et marées » : pourquoi avoir choisi ce thème ?
Ce thème peut être pris sous deux angles. C’est un thème de circonstance car nous venons de vivre une période très déstabilisante pour le monde culturel : il y a la volonté de résister, de continuer à inventer, à être artistes. Il y a également l’idée de lier la programmation à la thématique de la mer, qui a beaucoup nourri l’imaginaire artistique, de tout temps. Nous naviguerons donc à travers différentes représentations, loin d’être exhaustives, de l’élément marin dans l’imaginaire musical. Didon et Enée parlera par exemple de la mer qui apporte l’être aimé, mais qui peut aussi engloutir et être porteuse de mort. Nous explorerons cette ambivalence entre la mer nourricière et l’élément destructeur.
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— OpéraGrandAvignon (@OperaAvignon) 29 août 2021
Comment avez-vous construit cette saison ?
D’abord avec des envies. Puis, il y a une nécessité d’équilibrer la programmation entre des titres de différentes périodes, différentes origines nationales, même si nous n’aurons pas d’opéra allemand cette année. Nous aurons ainsi, si possible, un opéra baroque chaque année et un opus très proche de nous. Les rencontres avec les artistes, les partenaires coproducteurs nourrissent également cette construction.
La saison démarrera en octobre avec Peter Grimes de Benjamin Britten. Pourquoi avoir choisi ce titre ?
Britten est un compositeur phare, l’un des plus grands génies de la composition d’opéra. Ma première mise en scène importante était d’ailleurs Le Tour d’écrou, et j’ai depuis toujours eu envie de revenir à Britten. Ce choix de titre est né d’un dialogue avec l’Opéra de Trèves, qui est coproducteur du spectacle, et l’Opéra de Tours nous a ensuite rejoints dans la coproduction. Je suis absolument ravi de travailler sur ce premier grand chef-d’œuvre de Britten. C’est un opéra à la fois très romantique et très moderne. C’est une esthétique héritière du postromantisme à la Strauss ou Korngold, tout en adoptant une dramaturgie complètement de la seconde moitié du XXème siècle. Britten parvient à architecturer entièrement son écriture musicale en fonction du propos dramatique : je ne connais pas beaucoup de compositeurs, à part Mozart sans doute, qui soient à ce point rigoureux dans l’organisation de la forme musicale en fonction du propos théâtral.
Vous mettrez cet opus en scène vous-même : pourquoi ce choix ?
J’ai proposé, quand j’ai été recruté, de mettre en scène un opus par saison, ce qui me semble être un bon équilibre : il me semble pertinent, lorsqu’un artiste dirige un opéra, qu’il soit présent dans la programmation, mais je souhaite aussi qu’il y ait une diversité des artistes accueillis et des langages artistiques.
À quoi la production ressemblera-t-elle ?
Il m’apparaissait important de ne pas être dans une vision cinématographique. L’élément marin qui est omniprésent a davantage une force symbolique qu’une force de représentation physique, surtout aujourd’hui où le cinéma permet énormément de choses : on pourrait imaginer une vidéo avec la mer qui déferle, le ciel qui se couvre, etc. Je voulais éviter la présence littérale de cette puissance évocatrice de la vidéo. Ce qui m’importe dans la présence de l’élément marin est l’idée de la marée qui est une sorte de vision intérieure de Peter Grimes dans son rapport à la société : il peut être étouffé par la société, puis la société s’éloigne de lui et il se retrouve seul. Je voulais jouer sur la présence du chœur et de la foule comme un élément qui serait très lié à la scénographie, assez organique. La représentation de la mer passe principalement par des toiles, des cordes, des poulies, mais nous ne montrerons jamais l’eau. Il s’agira d’un dispositif unique, qui évoluera par le jeu des voiles qui se lèvent ou descendent, prennent différentes formes, comme des vagues très esquissées.
Pourquoi avoir choisi de confier la baguette de chef de cet opus à Federico Santi ?
J’ai déjà collaboré avec lui sur Le Sabotage amoureux, un opéra de chambre de Daniel Schell d'après le deuxième roman d'Amélie Nothomb. J’avais beaucoup apprécié sa vision. C’est un musicien très fin, avec une culture très large, et très attentif au théâtre que la musique peut générer. Il a la sensibilité pour diriger du Britten. Il a d’ailleurs tout de suite été charmé par ce projet. Il est aussi très content de sortir du répertoire italien qu’il dirige beaucoup au Mariinsky de Saint-Pétersbourg où il est chef associé.
Vous mentionniez la distribution large et riche : quels interprètes avez-vous choisis ?
Uwe Stickert, qui incarnera le rôle-titre, est un ténor allemand qui monte, qui a commencé par le répertoire lyrique et qui fera son premier Lohengrin bientôt. Cela m’intéressait de travailler avec lui car je ne voulais pas un ténor trop wagnérien pour ce rôle. Si on regarde les deux grandes références historiques du rôle, je préfère un Peter Pears à un Jon Vickers. Une voix trop dramatique donne un résultat puissant mais rude. Je voulais un Peter un peu poète, qui dégage d’une certaine sensibilité, car il y a des moments d’un lyrisme formidable.
Ludivine Gombert, qui chantera Ellen, est Avignonnaise et a une grande sensibilité musicale et théâtrale. Elle fera une Ellen idéale, peut-être même un peu trop : elle est si proche du rôle dans la vraie vie qu’il faudra lui inventer un personnage un peu différent. Robin Adams est un baryton anglais que j’avais invité à Rouen dans Quartett de Francesconi [notre compte-rendu]. C’est un interprète d’une grande puissance et d’une force théâtrale imposante. En Balstrode, il va être formidable.
Vous reprendrez en novembre la Madame Butterfly mise en scène par Daniel Benoin [notre compte-rendu à Nice] : qu’est-ce qui vous a donné envie de faire venir cette production ?
C’est une production qui était prévue il y a un an et demi, annulée pour cause de Covid, et que j’ai accepté de reprogrammer avec la même distribution. Elle s’intègre bien dans la thématique de la mer, puisque Cio-Cio-San surveille l’océan pour guetter le retour de Pinkerton. C’est une production assez juste, qui situe l’œuvre dans le Japon de la seconde guerre mondiale, après Nagasaki. Ce rapport entre orient et occident fonctionne très bien dans cette période d’après-guerre. La vision de Daniel Benoin dégage beaucoup de sensibilité.
C’est l’ancien Directeur musical de l’Orchestre Régional Avignon-Provence, Samuel Jean, qui dirigera l’œuvre : qu’apportera-t-il ?
C’est Patrick Davin qui devait diriger cette production, mais il est décédé l’an dernier. Pour moi, cela a été un choc énorme car je le connaissais bien depuis très longtemps : nous avons beaucoup échangé et beaucoup travaillé ensemble. Je me réjouissais de l’accueillir à Avignon. Pour le remplacer, j’ai pensé à Samuel qui a fait un travail important à la tête de l’Orchestre. C’est un bon chef d’opéra, qui apporte beaucoup de puissance et de lyrisme dans sa manière de diriger. C’est en bon accord avec la musique de Puccini. Il est très content de retrouver l’Orchestre avec lequel il a eu une longue histoire.
Pour les fêtes, vous inviterez la production de Lausanne des Chevaliers de la Table Ronde d’Hervé mise en scène par Jean-François Vinciguerra : qu’est-ce qui vous a attiré dans cet opus ?
C’est une production que je trouve délicieuse. Je connaissais l’œuvre pour l’avoir vue dans la mise en scène de Pierre-André Weitz [notre compte-rendu]. J’aimais beaucoup l’œuvre que je trouve truculente et subtile dans son écriture. Lorsque Jean-François Vinciguerra m’a envoyé la vidéo de la production, j’ai eu un coup de cœur. Il a fait un travail d’une grande drôlerie, toujours spirituelle avec une inventivité constante. L’Opéra de Lausanne ne pensait pas reprendre cette production, j’ai donc proposé de la racheter. J’espère donc que d’autres théâtres la programmeront également, car c’est une production qui mérite de vivre plus longtemps.
Vous aviez fait de l’opéra participatif l’une des pierres angulaires lors de votre mandat à Rouen, qui a depuis poursuivi, avec le Théâtre des Champs-Elysées, cette tradition. L’Opéra d’Avignon va-t-il désormais se joindre à ce partenariat ?
Probablement, mais pas nécessairement de manière systématique. Cela dépendra des projets. Nous voulions collaborer cette saison, mais ce n’était pas possible pour des raisons de calendrier. Nous reprenons donc la production de Carmen, Reine du cirque qui avait été jouée à Rouen et au TCE. Le propos est intéressant, dans un univers, le cirque, qui parlera à beaucoup de monde. Il y a une vision dramaturgique assez juste.
En 2017, vous nous aviez fait part de votre goût pour Bellini : vous présenterez en février une production de La Somnambule dans le cadre d’une très large coproduction. Qu’appréciez-vous dans cet opus ?
J’adore cette œuvre. Elle joue énormément sur la frontière entre le réel et le rêve. On se pose en permanence la question de savoir ce qui est la réalité vue par Amina et à partir d’où elle bascule dans le songe. Cela questionne la perception que l’on a du monde et la manière dont on est vu dans le monde. Bellini et son génial librettiste Romani traitent cela avec grande sensibilité et beaucoup de finesse. Cela fait partie des titres que je trouve très importants chez Bellini. Francesca Lattuada, la metteuse en scène, a un univers qui me plait beaucoup parce qu’elle a une vision reliée à l’humain, au symbole, à des archétypes, qui va emmener le spectateur vers le rêve et l’imaginaire, avec beaucoup d’intériorité. Je trouve son projet très juste.
Les solistes ont été choisis à travers le Concours de chant de Clermont-Ferrand : est-ce difficile de s’engager ainsi dans l’inconnu ?
Oui, c’est difficile de s’engager dans un projet sans maîtriser la distribution, surtout pour du Bellini. Autant j’ai de suite adhéré à la proposition du titre de Pierre Thirion-Vallet [le Directeur de Clermont Auvergne Opéra, ndlr], autant je me suis de suite inquiété de cet aspect car Bellini est très délicat à chanter. Le faire par l’intermédiaire d’un concours me paraissait être une prise de risque, d’autant qu’il a dû être reporté du fait de la crise sanitaire : il n’a pu avoir lieu que cet été [lire notre compte-rendu]. Il a finalement donné lieu à de très bonnes surprises. Cela a été très intense avec des candidats de très bon niveau, souvent venus de l’international, et notamment de la sphère russe, ukrainienne et géorgienne. Nous avons découvert de très belles voix et des capacités techniques impressionnantes. Seul le ténor, que nous n’avons pu trouver par l’intermédiaire du concours, sera distribué séparément.
En mars, vous programmez Idoménee de Mozart : pourquoi cet opus ?
D’abord parce que c’est Mozart : il faut faire tout Mozart. C’est un titre très fort et une très belle œuvre pour chœur, ce qui est important. Je l’ai proposé à Sandra Pocceschi et Giacomo Strada qui sont nos metteurs en scène en résidence.
La production sera dirigée par l’actuelle Directrice musicale de l’Orchestre National Avignon-Provence, Debora Waldman : quel est le lien entre l’Opéra et l’Orchestre ?
Nous sommes mariés : ces projets communs sont essentiels. Je considère l’Orchestre comme un partenaire, comme s’il faisait partie de la maison. Il me semble important de co-construire nos projets : quand je construis une saison, je commence par demander à Debora ce qu’elle souhaite diriger. Il est primordial qu’elle se sente à l’aise avec les choix de répertoire et que l’Opéra soit l’occasion de développer ses projets, que ce ne soit pas simplement une présence par obligation, mais plutôt par un vrai choix artistique. Elle est très attachée à Mozart dont elle a dirigé le film Don Giovanni cette année. Je la connaissais déjà pour avoir collaboré plusieurs fois avec elle à Rouen. Nous avons depuis longtemps une très belle relation donc les choses sont très simples et très fluides entre nous. Nous avons une très bonne entente artistique et partageons beaucoup de choses, ce qui rend ces collaborations très faciles.
Pouvez-vous présenter Jonathan Boyd, qui incarnera le rôle-titre ?
C’est un ténor américain qui est venu plusieurs fois à Liège lorsque j’y étais. Je l’avais aussi fait venir à Rouen pour la 9ème Symphonie de Beethoven. C’est un artiste très complet, une voix anglo-saxonne de ténor lyrique avec un beau médium. C’est la couleur qu’il faut pour le rôle d’Idoménée. En plus, sa présence est très saine dans une équipe : il joue extrêmement collectif, que ce soit humainement ou artistiquement, ce qui est important pour une production d’opéra.
En avril, Didon et Enée sera présenté dans une mise en scène de Benoît Bénichou : à quoi faut-il s’attendre ?
C’est une production de l’Arcal qui a déjà été jouée avant le confinement en région parisienne. C’est une esthétique très pure et moderne, stylisée, sans transposition. On y retrouve bien la profondeur de la relation entre Didon et Enée, mais aussi la mer, et ce qui les sépare, avec une théâtralisation qui est très élémentaire et très efficace. C’est une vision très sensible et très belle de Benoît Bénichou. Je ne connaissais pas bien l’Ensemble Diderot de Johannes Pramsohler, mais je les ai entendus récemment dans Crésus au Théâtre de l’Athénée [lire notre compte-rendu] : j’ai trouvé que c’était un ensemble de musique baroque très intéressant, avec beaucoup de ‘punch’ et un bel équilibre de son. Chantal Santon, que j’apprécie beaucoup, chantera le rôle de Didon.
Enfin, en mai, vous présenterez La Dame de Pique de Tchaïkovski par Olivier Py, désormais traditionnelle production commune aux opéras de la région Sud : comment jugez-vous cette initiative ?
La production existe et a pu être jouée à Nice juste avant le confinement [notre compte-rendu], puis elle s’est arrêtée. Nous avons décidé, avec l’Opéra de Toulon, de la reprendre ensemble cette saison : nous avons réussi à nous entendre sur le calendrier et sur la mutualisation des orchestres et du chœur. Je suis très content que ce projet puisse aboutir car des productions de cette taille et de ce niveau sont très difficiles à monter si l’on est tout seul : on ne peut les construire qu’à travers un partenariat. La Région, par ce projet et son apport financier non négligeable, a eu une initiative intelligente car cette forme de soutien permet de monter des projets qui ne verraient pas le jour autrement. C’est un grand facilitateur d’échange entre les théâtres d’une même région.
Comme vous l’indiquiez, l’Opéra Grand Avignon investit désormais une seconde salle, appelée L’Autre Scène de Vedène. Qu’apporte cette évolution à l’Opéra ?
L’Autre Scène est en effet rattachée à l’Opéra depuis 2019. Elle a longtemps été dévolue au théâtre et à la danse jeune public, ce qui reste un aspect que nous développons là-bas, mais c’est aussi désormais un lieu d’expression pour la danse contemporaine, le théâtre musical, et pour des formes qui sont proches de l’opéra. Nous aurons ainsi cette saison Re : Les Monstres, création d’Alexandros Markeas mise en scène par Stéphan Grogler : c’est vraiment du théâtre musical dans le sens où il y a des chanteurs mais aussi un comédien, le fabuleux Dominique Pinon, qui joue le rôle principal. Nous y monterons également le Rigoletto de Tom Goossens qui est une version hybride entre l’opéra de Verdi et la pièce de Victor Hugo, avec des chanteurs, des acteurs et un piano. Nous présenterons l’opéra contemporain Narcisse de Joséphine Stephenson qui est notre compositrice en résidence. Cette œuvre est écrite pour un petit effectif de deux musiciens et deux chanteurs : ce n’est pas un opéra qui aurait vocation à être donné dans la grande salle. Enfin, nous y présenterons en mars Douce et Barbe-Bleue d’Isabelle Aboulker avec la Maîtrise de l’Opéra.
Enfin, pourriez-vous dire un mot de la saison de ballet ?
C’est un élément artistique de la maison qui est en train de beaucoup se développer en termes de projets : je souhaite amener le ballet vers des territoires nouveaux. Le ballet a longtemps été très attaché aux productions de l’opéra et à des productions de ballet néoclassique. Nous allons développer une dimension plus contemporaine, ainsi que des tournées. J’ai nommé un nouveau Directeur de la danse, Emilio Calcagno, qui connait le langage classique (il a notamment été danseur chez Preljocaj) mais également une esthétique contemporaine : il va amener sa patte au ballet. Nous aurons une création avec lui, et une autre avec Carolyn Carlson et Pontus Lidberg. Nous présenterons Pitch avec Martin Harriague qui avait été montée avant le confinement mais n’a pour l’instant jamais été donnée. Cette pièce tournera en partenariat avec le Malandain Ballet de Biarritz.