Belle-Île en danse, du menuet au tango
La Danza commence, éclatante, par une gigue, d'une suite pour violoncelle de Bach, exécutée avec précision par Pablo Tognan. Le public est invité à profiter d’une soirée rythmée par divers genres musicaux dont le point commun est, bien sûr, la danse. L’art lyrique n’est pas en reste et brillent ensuite Bizet et la Habanera de Carmen, avant Rameau et la Danse des sauvages des Indes Galantes. Se retrouve également l’opérette, avec Lehár et La Veuve joyeuse, qui clôt finalement la soirée. À Lully, Rossini ou bien Ravel, se mêlent aussi les tangos de Carlos Gardel et Astor Piazzolla. La musique afro-américaine devait également être au programme, avec Joplin, mais la soprano Jazmin Black-Grollemund ne pouvait soutenir le concert, pour des raisons de santé. Séguedilles, tarentelles, valses et chaconnes se succèdent, alternant entre les airs laissant la part belle à l’orchestre et aux parties chantées.
La mezzo-soprano Éléonore Gagey entame donc la partie lyrique du concert avec la Habanera, où elle déploie une voix souple et nuancée, à la fois gaie et sensuelle, mordante dans ce rôle. Le timbre est riche et la chanteuse impressionne d’emblée par son ample projection. Elle revient dans Rossini et La regata veneziana, toujours aussi onctueuse et rayonnante, puis entraine le public dans un monde plus sombre, par Cuba dentro de un piano de Montsalvatge. Sa Didon (Purcell, Didon et Enée) est cependant plus mélancolique que réellement tragique et la fatigue pèse sur la voix. Elle reprend toutefois de l’énergie à la fin du concert avec La Veuve joyeuse, où elle revient sur scène en compagnie de ses partenaires lyriques pour clore la soirée.
Lauren Urquhart est la soprano du quatuor : sa première apparition se fait en duo avec le baryton Łukasz Klimczak, où ils chantent ensemble Tanzen möcht ich de l’opérette Princesse Czardas d’Emmerich Kálmán. Les deux voix se mêlent avec joie et plaisir, et l’air est interprété avec une charmante complicité qui enchante les spectateurs. En soliste, la voix est jeune et manque parfois de maîtrise au niveau du souffle, mais la chanteuse convainc le public par une belle prononciation, en allemand comme en français, ainsi que par la clarté et la vivacité de son chant, notamment dans la Séguedille de Debussy, où elle se montre lumineuse.
Le ténor Peter Tantsits, quant à lui, surgit sur scène en riant pour se lancer dans un tango de Carlos Gardel, Por una cabeza, où il projette une voix riche et ornée de beaux graves. Il ravit le public par sa fantasque Danza de Rossini (dont provient évidemment le choix du nom du concert), bien que trop de théâtralité nuise à la tenue de la voix, par moment trop fébrile. Le timbre est chaleureux et là aussi, la joie d’être sur scène transparait dans son chant.
Łukasz Klimczak, baryton, possède une voix profonde et pénétrante qui frappe dès l’Oblivion de Piazzolla, qu’il chante avec talent. Son interprétation est retenue et maîtrisée, sans toutefois manquer d’émotion. La diction est précise et juste et il ravit également en duo, où ses graves contrastent avec les aigus de la soprano.
L’orchestre est dirigé par Philip Walsh, le Directeur du festival, également au piano. L’une des danses de la soirée est de lui, une valse légère intitulée Le papillon, une première jouée en l’honneur de Marie-Françoise Morvan, l’ancienne présidente du Festival. Elle est inspirée du poème Le papillon de Lamartine et est gracieusement chantée par Lauren Urquhart. Philip Walsh mène sinon l’orchestre avec une humble délicatesse qui se retrouve également dans son jeu de pianiste, alors qu’il entame le menuet du Tombeau de Couperin de Ravel dans une mélancolie qui contraste avec la célèbre Danse des sauvages des Indes Galantes qui précédait. Le baroque est effectivement présent par Rameau et aussi Lully, avec la Marche pour la cérémonie des Turcs du Bourgeois gentilhomme, là aussi interprétée avec finesse, mais trop de retenue, bien que l’orchestre soit souple et vivace. C’est surtout dans le Four, for tango de Piazzolla, dont la nervosité monte crescendo, que ce dernier s’illustre admirablement, laissant planer une tension palpable dans la salle.
La soirée de danse s’achève sur la note joyeuse d’une opérette (La Veuve joyeuse), avec un public au rendez-vous, qui honore les artistes d’applaudissements vifs et chaleureux.