Don Giovanni séduit aussi son public au Festival de la Vézère
La quarantième édition du Festival de la Vézère, fêtée en cet été 2021 est aussi l’occasion de célébrer les 25 ans de fidélité de la troupe Diva Opera envers le rendez-vous musical corrézien. Depuis 1996, la troupe de Bryan Evans, spécialisée dans la retranscription d'opéras accompagnés au piano, est devenue une habituée des programmations estivales du festival, où elle est venue livrer ses versions revisitées des plus grandes œuvres du répertoire, Madame Butterfly et L’Italienne à Alger étant les dernières en date lors de l’édition 2019. Aussi, en ce mois d’août 2021, c’est Mozart qui ouvre le bal lyrique avec un Don Giovanni dont le seul nom, rattaché il est vrai à la beauté du lieu (même si le concert se tient finalement dans la grange du château du Saillant et non dans la cour, météo capricieuse oblige), vaut à cette représentation de se dérouler devant un public massif, au bonheur moins masqué que le visage à l’heure d’accueillir le célèbre séducteur au funeste destin.
Un séducteur ici vêtu, comme l’ensemble des autres personnages de cette production, de somptueux costumes seyant idéalement à l’époque du livret, avec cape, jaquette et grande veste d’un noir aussi sombre que ses desseins sentimentaux. Les autres personnages portent chemises, manteaux, robes à paniers ou corsages, autant de costumes remarqués, travaillés par Charlotte Hillier, et qui sortent davantage du lot qu’une mise en espace restreinte par l’étroitesse de la scène (donnant ici dans le minimalisme). Des bancs et vasques à fleurs en faux marbre se trouvent là pour décrire un jardin, puis un tombeau, une table en bois lestée d’un grand chandelier est dressée pour le souper, et voilà pour l’essentiel d’une scénographie par ailleurs servie par de jolis jeux de lumière (avec le rouge et le noir pour tons dominants). Point de vacuité ni d’exubérance, donc, et encore moins de mauvais goût dans une mise en scène qui offre de pouvoir se concentrer pleinement sur le casting vocal.
Le rôle-titre est campé par Matthew Durkan, dont le baryton est pour le moins robuste et émis avec sonorité et assurance sur une belle largeur de tessiture, avec un timbre clair et incisif. Efficace et convaincant dans l’incarnation d’un jeune séducteur invétéré à qui rien ni personne ne résiste, pas même la morale, le chanteur britannique s’illustre aussi par un chant varié en nuances, et par une diction finement ciselée qui lui vaut de franchir sans encombres notables les obstacles d’articulation dressés par le “Fin ch'han dal vino”.
Matthew Hargreaves est un Leporello bien investi dans son rôle de serviteur aussi désabusé qu’amusant, son instrument de baryton-basse étant doté d’une rondeur de timbre, notamment dans un registre inférieur bien creusé en émission.
Le ténor Ashley Catling est un Don Ottavio entièrement crédible dans son rôle d’amoureux tourmenté et révolté, avec un timbre quelque peu nasal mais une voix aux jolies ondulations, qui sait se parer de demi-teintes. Le grand air du rôle, “Il mio tesoro”, est chanté avec sensibilité.
Meilir Jones, en Masetto impliqué et appliqué, et au torse bombé, use d’une voix de baryton-basse agréablement chaude en projection, notamment dans la partie la plus basse de la tessiture. Enfin côté masculin, avec son grand manteau et son visage de couleur gris marbre, la basse britannique Richard Mitham incarne un honorable Commandeur, avec une voix ample atteignant des graves austères et pénétrants, certes pas d’une profondeur abyssale, mais suffisamment expressifs pour servir le rôle avec la froideur attendue.
Les traits de Donna Elvira sont pris par Suzanne Fairbairn qui, entre amour et colère, restitue les divers transports émotionnels traversant son personnage, avec une voix de soprano joliment vibrée aux aigus brillants (le suraigu restant toutefois friable). Une prestation homogène qui vaut aussi très largement pour la Donna Anna campée par Gabriella Cassidy, dont la rancœur et l’affliction se lisent tant dans la gestuelle et les expressions de visage que dans les traits vocaux dressés par un soprano riche et large, au medium bien assis, lustré par un legato joliment ondulé et par une élégance de phrasé certaine.
Le soprano de la Française Faustine de Monès, entendue lors du concert des dix ans de Musiques en Fête en juin dernier, trouve aussi à se mettre en valeur. Fraîcheur d’émission, timbre clair et coloré, vibrato docile : tout concourt à faire de cette Zerlina enjouée et badine une prestation accomplie que concrétise notamment un “Batti, batti o bel Masetto” paré des justes touches de tendresse et de frivolité.
Autant de chanteurs qui unissent leurs voix dans les ensembles avec homogénéité sonore, et qui se trouvent remarquablement accompagnés par un Bryan Evans définitivement passé maître dans l’art délicat (et audacieux) de se substituer à un orchestre tout entier. L’ensemble manque du relief qu’apporte une variété de pupitres et une profusion d’instrumentistes, mais il épate néanmoins l'auditoire dans sa capacité à restituer les traits musicaux et mélodiques qui font le sel de cet opéra. Ainsi, des applaudissements nourris viennent-ils saluer la performance de l’homme-orchestre autant que celle d’une troupe britannique définitivement royale en ce prestigieux domaine corrézien.