Jakub Józef Orliński revient en récital au Festival d'Aix
Le Festival international d'art lyrique d'Aix-en-Provence propose un concert où sont donnés des airs d'opéras et des airs sacrés virtuoses, chantés à l'époque par des castrats, et pour l'occasion, par le contre-ténor Jakub Józef Orliński. Ce dernier est accompagné par l'ensemble baroque Il Pomo d'Oro dirigé par la violoniste Zefira Valova, spécialisé dans le répertoire lyrique.
Orliński, diplômé de la Juilliard School en 2017, a également travaillé à l'Académie du Festival d'Aix, où il fait ses débuts la même année dans Erismena de Cavalli. À l'affiche de nombreux festivals français en cet été 2021 comme au long de l'année, il est reçu comme une gloire montante du chant lyrique. Les musiciens sont bien servis par la bonne acoustique de l'auditorium Campra du Conservatoire d'Aix. Un public nombreux et très tôt arrivé garnit toutes les travées.
Les pièces au programme sont peu connues voire tout à fait méconnues, avec des résurrections telles que « Proh quantae sunt in orbe strages » d'Antonio Lotti, l'« Arietta per la Madonna Santissima » de Francesco Bartolomeo Conti et « Dal beato eccelso volo » de Bartolomeo Nucci. Et toutes ces pièces sont d'une grande richesse musicale. Le chanteur explique au public qu'il a cherché à rassembler une grande variété de couleurs et il réunit en effet la splendeur de l'école italienne : celle des Schiassi, Brescianello, Vivaldi dont l'attention et l'émotion musicale sont sans cesse renouvelées.
La prestation de l'orchestre éblouit le public par son inspiration, autant individuellement qu'en raison de l'entente collective des musiciens, l'art des fondus enchaînés, la circulation des motifs entre les pupitres, les effets de masse ou les solos. Un véritable orchestre à cordes sur instruments anciens réduit à sa plus simple expression : un instrument par partie. Le clavecin est curieusement placé sur un orgue positif (peu utilisé, notamment pour l'« Antienne » de Haendel), le claviériste étant appelé à jouer debout toute la soirée afin de participer à la gestualité expressive du collectif. Un exemple parmi d'autres : le Concerto a quattro n°4 en do mineur de Baldassare Galuppi, qui met en avant l'altiste (Giulio d'Alessio) a la saveur timbrée et un relief sonore incomparable. Le jeu savant du contrepoint est complété par la théâtralité instrumentale de l'ensemble qui par moment semble danser. La justesse est au rendez-vous : les accordages au diapason baroque sont assez nombreux tout au long du concert et l'écoute d'un ressenti communicatif est constante.
Quant au « sopraniste » Orliński, qui chante en lisant sa partition (sauf dans les bis), il fait montre de plusieurs qualités. De magnifiques graves dans l'air de Lotti ou le « Beatus Vir » (tiré du psaume 111) d'Antonio Vivaldi, produisent un effet de contraste avec le reste de la tessiture, au médium plus maigre. La virtuosité de colorature fait savourer les traits répétés en marches harmoniques, grands intervalles et autres roucoulades lors des da capo (reprises) copieusement ornés, par exemple dans la Chaconne de Brescianello. Ces traits sont exécutés avec aisance et précision sur le mot « semper » de la bouillonnante et contrastée Arietta de Conti, lors de la cadence vocale de la Messe de Davide Perez ou sous l'aspect d'une vocalité instrumentale chez Vivaldi. Orliński est également doté d'une bonne diction, d'une présence scénique et musicale : il est habité par la musique, avec une puissance vocale suffisante pour un contre-ténor. Le vibrato est toutefois serré, les aigus parfois placés « en arrière », la réalisation des trilles est étonnante (grand contraste entre une tenue « plate » et sa version « trillée »), enfin le joli timbre, sans robe profonde ni tanin surprenant, gagnera en rondeur les années venant.
L'expressivité atteint un sommet dans le lento de la Giuditta de Francisco A. de Alméida. Les jouissifs tuilages et dissonances sur « piaccia » témoignent de l'équilibre et de la plasticité de l'ensemble, voix comprise. La Chaconne à six en la majeur de Giuseppe A. Brescianello est un moment intime et intense délivré par le quatuor contrebasse, théorbe, alto et voix.
Ce récital, qui permet de continuer à découvrir un jeune talent lyrique, un ensemble à cordes de très haut niveau et un corpus de pièces baroques d'une grande richesse, soulève le public des festivaliers aixois qui réclame trois bis, avant de rejoindre, rassasié, les touffeurs estivales du midi.